24 août 2009

Premiers Poetes

Le siècle des lumières fut représenté en Roumanie par trois groupes distincts d’écrivains : le prince-chroniqueur Dimitrie Cantemir en Moldavie, les poètes de la famille Vacarescu en Valachie et l’Ecole transylvaine dans la province de ce nom. Au début du 19-e siècle il convient de citer aussi en Moldavie le poète Costache Conachi et en Valachie Anton Pann.

Les quarante-huitards

1848 fut une année révolutionnaire dans toute l'Europe. Si à Paris elle porta au pouvoir le poète Lamartine, en Roumanie cette révolution-là fut l'oeuvre de jeune intellectuels (historiens; poètes, prosateurs) ayant fait leurs études à Paris. Voici quelques uns de ces poètes.

Dimitrie Bolintineanu - La mère d’Etienne le Grand

I

Sur un noir rocher dans un vieux château,
Au pied duquel coule un petit ruisseau,
Pleure et se lamente la princesse jeunette,
Douce et délicate comme une violette.
Au champs de bataille son époux chéri
Est parti en armes, guère ne le revit.
Ses yeux bleus en larmes brûlent de douleur,
Comme la rosée brille sur les douces fleurs.
Des boucles dorées sur son sein palpitent,
Rose et blanc comme lys, son visage s’agite.
Mais la reine mère près d’elle veille forte
Et de douces paroles, elle la réconforte.

II

Une horloge sonne minuit et demi,
A la porte, qui frappe, près du pont-levis ?
- C’est moi, bonne mère, ton fils bien-aimé !
C’est moi et j’arrive du combat blessé.
Le sort bien cruel nous fut cette fois-ci
Ma petite armée en désordre fuit.
Mais ouvrez la porte... Les Turcs me rattrapent !
Le vent froid me glace... mes blessures font mal.
Vite à sa fenêtre la jeune princesse court.
“Ma fille, que fais-tu?” dit la reine-mère
Et puis à la porte elle-même se rend,
Et dans la nuit dense ceci on entend:
-Vous dites, étranger ? Etienne est bien loin,
Son bras fort et brave décime les païens.
Sa bonne mère je suis et il est mon fils;
Si c’est vous, Etienne... Vous n’êtes point ce fils !
Pourtant, si le ciel, voulant m’éprouver
Et sur mon vieil âge mon coeur attrister,
Son âme noble et brave ainsi a changé,
Si tu prétends être Etienne pour de vrai,
Sache alors qu’ici, sans une victoire,
Tu ne peux entrer, par mon bon vouloir !
Vas donc aux armées, meurs pour ton pays !
Et sera ta tombe couronnée de lys ! ”

III

Etienne s’en retourne , son cor sonne court,
Son armée brisée des vallons accourt.
Le combat reprend. et. l’ennemi battu
Tombe comme les blés sous les sabres à nu!

Dimitrie Bolintineanu


Parmi les étudiants qui suivaient en 1846-48 les cours du Collège de France, à Paris, on pouvait remarquer le jeune roumain Dimitrie Bolintineanu, élève de Jules Michelet et Edgar Quinet. Revenu en Roumanie il participe avec d’autres anciens étudiants roumains de Paris, dont N.Bàlcescu et Vasile Alecsandri, à la préparation de la révolution roumaine de 1848. C’est en 1847 qu'était paru son premier volume de vers intitulé « Rêveries ».En 1952 allait paraitre un autre volume intitulé « Chants et complaintes ». En 1858 il publiera ses « Légendes historiques. » En 1866, il publiait en français sous le nom de « Brises d’Orient ». la traduction de son volume de poèmes orientaux « Fleurs du Bosphore » et quelques autres poèmes des cycles « Les Macédoniennes » et « Rêveries » ainsi que des légendes historiques. Le volume est apprécié par Théodore de Banville. Parmi ses nombreux volumes de vers, il convient de mentionner un épopée en vers du nom de « Trajanide ». Il écrivit aussi des romans. D.Bolintineanu a vécu entre1819 et 1872.

19 août 2009

Iancu Vacarescu


Né en 1792, petit fils du poète Ienàchità Vàcàrescu, francophone et germanophone, Iancu Vàcàrescu est un animateur de la vie culturelle de la première moitié du 19-e siècle. Il encourage le fabuliste Grigore Alexandrescu, soutient la vie théatrale roumaine, traduit le « Britannicus » de Racine et « l’Avare » de Molière, encourage la création d’imprimeries. Il est un membre actif de la Société littéraire qui allait préparer la révolution de 1848 en Valachie. Ses poèmes sont le reflet de ces préoccupations, influencées en grande mesure par la révolution de 1821 de Tudor Vladimirescu.

Alecu Vacarescu


Fils du poète Ienàchità Vàcàrescu, Alecu Vàcàrescu est né vers 1765. Il est l’auteur, comme son père et son frère Nicolae, de petits poèmes anacréontiques, où la religion et l’éloge des puissants du jour cède la place à des sentiments plus personnels.

Ion Budai Deleanu

C’est du groupe de l’Ecole transylvaine que faisait partie le poète et philosophe Ion Budai Deleanu, chez qui les idées du siècle des Lumières sont les plus présentes : égalité des humains, droits des nations .Ion Budai Deleanu est né en 1760. Il écrivit en latin des études sur la langue roumaine, il publia des dictionnaires, mais ses œuvres les plus connues sont deux poèmes héroi-comique en vers « La Tsiganiade » et « Trois preux chevaliers ». Voici un fragment de la Tsiganiade; épopée sur la création d’une armée tsigane à la demande du prince valaque Vlad l’Empaleur; au 15-e siècle. Avant de livrer bataille, les tsiganes, promis à l’émancipation, s’engagent dans une longue dispute philosophique sur la forme de gouvernement qui leur conviendrait et leur colloque dégénère en bataille rangée. Après quoi ils se dispersent aux quatre vents. Voici la description d'une partie de cette armée pittoresque, puis une partie du débat.

Anton Pann


Picaro de nature, né en 1796 et mort en 1854 ,Pann fut l’un des premiers poètes importants de la Roumanie. Chantre d’église, imprimeur, professeur de musique dans un couvent dont il enleva une none, il publie en 1830 à Bucarest un recueil de « vers musicaux » où se mêlent traductions et poèmes originaux . Suivent ses « Chansons du monde », puis en 1832 un « Guide des buveurs », en 1834 une « Christoitie » ou « Ecole de la morale », suivie en 1837 du « Nouvel Erotocrite » en vers, sorte d’ Art d’Aimer, d’après une traduction du grec Komaros. En 1837, Anton Pann publie des « Fables et historiettes », en 1846 un recueil de folklore et un autre de « Vers chantés pour la Naissance de notre Seigneur Jésus Christ ». Son œuvre la plus importante est intitulée « Histoire du proverbe » et parait en 1847. Suivent encore un récit intitulé « Souvenir du grand incendie de Bucarest de 1847, le jour des Pâques et de la générosité du prince Bibesco », un «Dialogue en trois langues : roumain, russe et turc » (1848) puis un recueil de poèmes intitulé « L’Hôpital de l’Amour » (1850) et « Le voyage du père Albu » de 1852, puis en 1854 un recueil d’histoires et anecdotes .

Costache Conachi


Poète des 18-e – 19-e siècles, Costache Conachi a vécu entre 1778 et 1849. Il composa des chansons d’amour pour la belle Zulnia, un petit traité de prosodie et des saynettes satyrique jouées par des montreurs de marionnettes. Il traduisit Marmontel, Pope, Pierre d’Herbigny, diffusant les idées des Lumières. Il est l’un des précurseurs du romantisme roumain.

Ienachita Vacarescu


Nous mentionnions dans la première génération de poètes roumains connus, notamment au 18-e siècle, la famille Vàcàrescu en Valachie . Ienàchità Vàcàrescu, né en 1740 et mort en 1797, descendant d’une famille de grands boiards , plusieurs fois ministre, est l’auteur de l’une des premières grammaires roumaines, de deux dictionnaires roumano-turcs et roumano-allemands, ainsi que d’une « Histoire des puissants empereurs ottomans ». Il est cependant surtout connu comme poète. Ses vers anacréontiques sont influencés par le folklore roumain. Il fondera une véritable dynastie de poètes.

18 août 2009

Anton Pann - Nasdine Hodja

L’habit est respecté davantage
Que la personne honnête
Nasdine fut une fois à une noce invité
Et des vêtement très simples pour y aller endossa ;
Les gens de maison le voyant, ne lui prêtèrent nulle attention.
Sans cesse servir les personnes richement vêtues on se précipitait
Et lorsque tout le monde à table fut installé,
On le plaça tout en bas, au coin d’une petite tablée .
Ceci voyant, Nasdine se leva et vite alla,
Chez un ami lui demander de lui prêter quelques jolis vêtements ;
Puis, galamment il se vêtit,
Mit par-dessus une fourrure et un manteau bien rouge.
Il revint à la noce où on l’avait prié
Et dès qu’il y parut, toutes les honneurs lui furent accordés :
- S’il vous plait, s’il vous plaît Hogea-efendi, tous l’appelaient.
On lui offrit la place d’honneur, chacun se serrant.
Une fois assis, il trempa sa manche dans la sauce, disant :
- Voilà, fourrure, s’il te plaît, mange le meilleur.
Et les invités de lui demander : « Monsieur Hodja,
Pourquoi tremper ainsi votre manche dans la sauce ?
- Parce que, répondit-il, lorsque d’abord je suis venu
Pauvrement vêtu, personne ne m’a honoré.
Et lorsque j’ai souhaité le bonjour, à peine m’a-t-on dit « Merci ».
Tandis qu’avec ces vêtements-ci, tout le monde m’a invité « Entrez,entrez ! »
C’est donc à la fourrure que je donne à manger,
Puisque le monde honore les vêtements et non la personne .

Ion Budai Deleanu - La Tsiganiade

Chant 1

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66

La première entre toutes se mit en route
La troupe de Goléman , si connue
Tous cribliers, brave gars sans doute.
Malheur à qui irrite cette cohue !
Trois cents étaient, si je m’y fie,
Sans les enfants, les femmes et filles.

67

Leurs armes les plus terribles
Etaient des fourches et mâts de tente,
La pointe ferrée pour bien percer la cible
Ils en clouaient au sol en moins de trente
Tout ennemi de loin, ou près;
Autant de crânes cassés après.

68

Leur drapeau ! une peau de jument à la queue blanche
Accrochée à une branche
Au bout de laquelle un cercle de tamis
Décoré de rouge était mis.
Une marche ils jouaient à la cornemuse,
Battant la mesure sur des passeoires sans trous.

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70

Après ceux-ci marchaient de l'avant,
Armés et en rangs bien serrés,
Les argentiers grands artisans

De joyaux et parures. Deux cents au près.
Qui les mène et les conseille ?
Parpangel, jeune plein d’orgueil.


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77

Grand et mince de nature,
Bon ménestrel, jouant du violon;
Faisant toute chose avec mesure
Artiste à faire des joyaux.
Beau prince charmant
Des argentiers en chevauchant.

78

Et le suivaient en rangs bien faits
De six chacun, sa troupe unique
Choisie, triée sur le volet,
Derrière laquelle suivait la clique
Aussi nue qu' Adam au soleil
La peau brillante et si noire qu’une corneille.

79

Les mieux lotis avaient des masses d’armes
En cuivre et de longs couteaux,
Grands hommes, tous, de belle carrure,
Cheveux au vent et barbes hirsutes;
Aux vêtements longs, courts et rayés
Mais soit sans manches,soit déchirés.

80

Comme drapeau un corbeau ils portaient,
Tout en argent, et les plumes déployées,
De telle manière comme si il s’envolait
Claquant des ailes dorées qui flamboyaient.
Leur musique jouait des guimbardes,
Faisant tinter des grelots de mouton.

81

La troisième troupe était formée
De chaudronniers grands et bien faits

Barbe enfumée, bonnet fourré.
A voir leur force on s’étonnait.
Ils battaient le cuivre et l’étain
Trois jours de suite sans manger rien.

82

Leur arme était un gros marteau
ferré et tous ils allaient chevauchant
Mais où vas-tu, eh, Balaban,
Toi, leur meneur, toi le fort ?
Si les Tziganes t’obéissaient
Bien plus heureux ils seraient !...

83

Sa bannière ils suivent pourtant,
Qui est un plateau de cuivre
Brillant de tous côtés, scintillant,
Comme le soleil au doux printemps.
Une marche ils jouent de leur clairon
Battant la cadence sur un chaudron.

84

Quatrièmes on voit venir
Les forgerons et leurs marteaux,
Gros brûleurs de charbons et scories
Armés de faux
Aux longs bâtons
A la manière des lances devant pointées.

85

Meneur était Dràghici le sage
Qui longuement avait vécu
Sans un poil perdre de son plumage
Ni de ses dents dont nulle n'a chu.
Il tenait sa septième épouse
Et se sentait en forme comme douze.

86

Trois cent en armes étaient rangés
Marchant d’une fière allure,
Joyeux allant vers le danger,
Portant sur soi à vendre, à l’aventure,
Faucilles, couteaux, ciseaux et mailles.
Seuls les déniers manquaient à l’attirail.

87

Leur musique les précédait
Faite de cloches et de cymbales,
Leur drapeau - une poêle à crèpes
Au pourtour orné d’écailles
Menues en acier dur comme roche
Accrochée à une longue broche.


10-e CHANT

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14

Tol disait qu’il serait inutile
D’instituer quelqu’ordre au pays,
Car d’après son bon sens facile
Toute loi n’est que contrainte
Et personne de son bon gré
A la loi ne voudrait obéir..

15

La loi est bonne pour les grands,
Disait untel, pour ceux qui règnent,
Les voïvodes, ministres,
trésoriers, préfets, commis,
Qui de par cette loi dominent les petits,
Récoltent et distribuent les revenus.

16

D’autres criaient : mais au contraire,
Il faut une loi, mais pas de celles
Qui ne valent pas un traître
sou, mais une telle
Qui n'ait pas sa pareille au monde;
Autrement, c’est folie.

17

Que nous soyons tous pareils
Paysans, seigneurs sans distinction;
Là est la loi la meilleure !
Nous avons tous un même corps,
Même nature, donc même honneur
nous aurons au pays tsigane.

18

Certains voulaient un prince,
une assemblée de la noblesse;
Car telle était alors la mode
Et l’orgueilleuse nation tsigane
Ne devait guère s’en écarter,
Mais au contraire s’y tenir ...

19

Certains voulaient que nul ne fut plus pauvre
Dans le nouveau pays tsigane;
D’autres que d’impôts ou redevance
Il ne soit plus jamais question.
Ceux-ci qu’il n’y ait plus d’emplois;
Ceux-là que d’autres viennent travailler les champs.

20

Disons qu’il n’y eut pas d’idée
Issue de quelqu’esprit troublé
Qui ne fut pas examinée
Par l’honorable assemblée.
Mais à quoi bon... car ce qui aujourd’hui plaisait
Demain les mêmes honnissaient !


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27

Alors les anciens décidèrent
De faire un autre règlement
De bon conseil et il tranchèrent
De ne plus convier à l'assemblée
La foule entière sans discernement,
Mais de chaque tribu un délégué.


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30

Ainsi vit-on se rassembler
Les cerveaux les plus éclairés
Constituant une cité
Comme à Paris les Montagnards.
Leurs hauts calculs, savantes idées
Toutes les nations vinrent admirer.

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31

De savantes personnes expliquèrent
En discours élégants, érudits
Avec arguments à l’appui
Que la monarchie serait bien
Entre toutes les formes la meilleure
Pour une société des humains.

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47

Que celui qui au peuple laisse
gouvernement et pouvoir
Celui-là l’union délaisse
Détruit le pays sans vouloir,
Donne l’épée à l’enragé
Et le couteau à l’enfant à peine né..

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78-79

Ainsi parlait Baroleu le savant.
Slobozan cependant d’autre part
Avec preuves et paroles pleines d’allant
Voulut prouver que nul pays n'est plus heureux
Qu’une république bien établie;
Et voici comment il s'y prit:

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80

S’il était possible d’avoir
Un homme entre tous le plus sage,
Sans ruse ni hypocrisie,
Le meilleur coeur et le plus juste,
Et que cet homme ici vivant,
Soit de plus un immortel,

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81

A cet homme de grand coeur
Aux qualités supérieures
Si par hasard il devenait
Monarque absolu d'une cité
A lui et à lui seul
Me soumettre j'accepterais.

83-84

Seulement de gens sans reproche
par ici il n’y en a guère
Ils sont plus rares que sous en poche !
Et puis comment les reconnaître ?
A leur vêtement, comme les élégants ?
Et il y a aussi un autre empêchement,

85-86

Dire qu’il ne sont pas immortels
(car nul être ne le peut).
Alors à supposer que l’on élise untel,
Le plus honorable entre tous,
Que seul il décide en tout affaire;
Mais ses enfants, ses petits-fils ?
Seront-ils bien comme leur père
Si bons, si justes et si sages ?

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108

Une république bien assise,
Sur des fondements solides,
Selon un jugement bien clair
Avec philosophique discernement;
Seul un tel gouvernement
Serait bon pour le pays des Gitans.

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110

En République l’homme s’améliore

A sa valeur la plus parfaite,
Qu’il soit d’extraction basse ou haute
Qu’il ait fortune grande ou mince,
Ses droits sont les mêmes que ceux du prince
Ou du plus fortuné.

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112

Si bonne soit le monarchie,
Elle devient vite despotique
Et les tyrans elle élogie;
qui le peuple oppriment sadiques,
Elle pousse se prosterner en vain
depuis toujours les humains.

113

En république les citoyens
Sont fils et frères d’une bonne mère;
Ils sont les héritiers communs de la patrie et de ses biens,
La loi égaux les rend et pairs
Et si l’un d’eux se distingue,
s'il est meilleur.

114

C’est celui-là donc qui gouverne
Elu par une commune décision.
Mais il n’ordonne pas à tors et a travers
Selon ses bon vouloir et opinion
Car chaque fonctionnaire public
La loi exécute seulement et applique.

Anton Pann - Le Sultan Et Le Pecheur

Dit-on qu’un sultan, une fois, qui souvent déguisé se promenait,
Voulant au bord de mer aller prendre un peu l’air,
Y vit un homme assis, à pêcher du poisson
Et par curiosité, de lui en s’approchant,
Commença à lui faire la conversation, lui poser des questions
Ainsi : « Mon ami, as-tu pris du poisson où non ?
L’homme répond : « Faible capture, comme-ci, comme ça, un rien ! ».
Quelque menu fretin, comme dit le proverbe :
« L’hôte ne mange pas ce qu’il veut, il mange ce qu’il trouve ».
Et puis
« Qui n’a pas une belle, embrasse une morveuse
« Ou « qui a fait fi des fraises, en mange les feuilles »
« Il mange des fruits sauvages et se moque des olives ».
Le sultan, le voyant pauvre et la langue bien pendue, prit plaisir à lui parler et lui demanda encore :
Le sultan – D’où viens-tu ?
Le pêcheur : De chez la femme.
Le sultan : De quel pays ? Quelle est ta patrie ?
Le pêcheur :La patrie de l’homme est là où il est bien.
Le sultan : As-tu des enfants ?
Le pêcheur : Un dans les bras, l’autre dans les entrailles.
Le sultan : As-tu quelque fortune ?
Le pêcheur : Le proverbe en témoigne :

« Ce qui est sur moi est dans mon coffre ».
Le sultan : Pourquoi es-tu pauvre ?
Le pêcheur : Je suis pauvre parce que je ne suis pas riche.
Le sultan : Comment vis-tu ?
Le pêcheur : Regarde mon vis et tu sauras ma vie .
Le sultan : Es-tu malheureux ?
Le pêcheur : La chance me suit, comme la poussière suit le chien.
Le sultan : As-tu de l’aide chez toi ?
Le pêcheur :Je suis seul à m’échiner
Le sultan : Est-tu pauvre de naissance ou bien ruiné ?
Le pêcheur : Si mon père fut un Monsieur et je ne suis pas un homme, à quoi bon ?
Le sultan : Je te vois ruiné, mais tu ne t’en plains pas.
Le pêcheur : Le tort que l’homme se fait lui-même, personne ne peut le défaire.
Le sultan : Si l’enfant ne pleure pas, sa mère ne lui donne pas la tétée.
Le pêcheur : Le temps que l’envie vienne au riche, le pauvre expire. Celui qui a déjà bien mangé ne croit pas au malheur de celui qui a faim.

Alors souriant, le sultan amusé,
Sort son portefeuille, écrit un mot et lui dit :
Le sultan : Prends ce billet et va vite chez mon vizir,
Pour qu’il te donne mille lei. Vas et ne perds pas ton temps.

Ce n’est qu’en prenant le billet que le pêcheur vit
Qu’il avait parlé au sultan et qu’il ne l’avait pas reconnu.
Il en resta, le pauvre, tout étonné,
Puis, finalement, il se souvint qu’il n’avait même pas remercié .
Il s’en alla donc d’un seul souffle, le cœur battant,
Jusqu’au vizir, sans rien comprendre ;
Il entra, lui remit le billet et le vizir le lut,
Lui comptant cinq cent lei et le priant de les accepter.
Car
« Qui partage, fait sa part »
Et
« De la gueule du loup, il est difficile de tirer une chose entière ».
Voyant qu’il ne lui donne pas tout, il lui dit : « Comment donc ?
Mais le vizir dépité répondit : « Alors quoi, tu n’es pas content ?
Le pêcheur : "Tu me les as prêtés et ne veux plus les prendre ?"
Et ordre on donna qu’il fut poussé dehors, disant :
- Je ne te donne rien, si tu n’es pas content
Et tant le pêcheur avait eu de joie à l’aller
Avec autant de tristesse chez lui il rentra.

Anton Pann - Histoire Du Proverbe

HISTOIRE DU PROVERBE

Des défauts

Il n’est homme sans défaut,
Chacun une étiquette a sur son dos.
Il voit celle de l’autre et ne voit guère la sienne.
Chacun se croit plus sage que l’autre.
Chacun trouve son enfant plus beau ,
Si impossible qu’il soit.
Ce qui est beau porte malchance.
Chacun tire la couverture à soi.
Il est facile de juger l’autre,
Chacun se moque de l'autre et le diable de tous.
Le diable moque les colombes noires et soi-même ne se voit guère.
La langue du monde, seule la terre la fait taire.

HISTOIRE DU PROVERBE

Dit-on qu’il fût un fois un prince
Affublé d’un nez très peu mince.
Il voyait bien, lui-même, le défaut en question,
Mais il pensait que peut-être c’était une impression.
Ses sujets et ses proches, là-dessus questionnés,
Sur sa bonne figure l’avaient tous rassuré,
Car, qui ose à un grand du monde
Dire vertement ses défauts incommodes ?
C’est à la même époque et dans la même ville,
Que vivait une dame bossue et plutôt ville.
Or, des flatteurs l’avaient persuadée
Qu’elle était aussi belle qu’un rayon de lumière.
De poèmes et de vers, ils l’avaient couronnée
Et se croire une déesse l’avaient encouragée.
Celle-ci alla un jour à la cour, au palais,
Ayant avec quelqu’autre un procès à régler.
Mais voyant que le prince n’était pas disposé

A soutenir sa cause, comme elle l'aurait aimé ,
Lui coupant la parole, elle dit tout étonnée :
«Oh, mon prince, que vous avez un gros nez !
Le prince par ces propos fut piqué,
Mais sur le coup, rien ne fut répliqué.
Celle-là cependant, croyant qu’il n’avait pas saisi,
En d’autres mots lui répéta son dit.
Le prince, une fois de plus, avala de travers ;
Mais elle ne cessa point de piquer son orgueil
Et de redire encore : Quelle étrange chose !
De ma vie je n’ai vu un nez aussi grandiose !
Le prince durcit le ton : « Madame !
Savez-vous que vous êtes une bien curieuse personne !
Que me dites-vous sans cesse que j’ai le nez trop gros,
Et que ne voyez vous la bosse sur votre dos ?
Votre énorme défaut, vous ne le sentez guère,
Mais voir celui des autres, vous n’avez nulle peine.
Comme elle quittait les lieux , sortant dans le couloir
Le prince dit encore, regardant son miroir :
«Ce n’était pas mensonge, ce que le sage disait,
Que bien difficilement l’homme soi-même se connaît.

Alecu Vacarescu - Ta Beaute Entiere

Si le miroir te montrait
Pleine et entière ta beauté;
Alors tout comme moi,
Tu t’inclinerais devant toi.

Il n’y aurait nul moyen,
Ton visage regardant bien
Sans qu’en idôlatrie extrême
Tu ne tombes devant toi-même.
Lorsqu’en lui les yeux tu plonges ,
Le miroir en devient sombre ;
Et l'image qui surnage
N’est point la tienne, mais ton ombre.

Alors, ne fais plus confiance
Aux miroirs, car leur balance
Est trompeuse
Elle te parle en menteuse.
Si vraiment te voir tu veux,
Fais donc confiance à mes yeux,
Car ni ne te mentent,
Ni eux-mêmes se trompent.
Tâche en eux de te voir claire,
Telle que tu nous éclaires
Et dans leur miroir
Connais ton plein pouvoir.

Crois mes yeux lorsqu’ils te disent,
Qu’à toi seule ils obéissent ;
Et que tu es tout naturellement
Pour eux, le Dieu du firmament.

Alecu Vacarescu - Satyre

Que le monde est instable, il n’est plus que mensonge !
Toute famille n’est plus que faux-semblant et hargne masquée.
La société entière est un combat de foire, l’humanité est transformée.
De tous côtés il n’y a qu’ennemis et personne à qui se fier.
Chacun en ma présence est mon homme, mais dès que je m’absente
Au monde il appartient.

Tous en tromperies abondent, personne à admirer.
Les serviteurs de Dieu ont le visage masqué.
Ils vous bénissent d’abord, puis vous mordent en serpents.
On ne peut pas partir. La nuit en plein jour descend.
Et le danger vous guette, si vous cherchez la clarté.
Tout jugement n’est qu’injustice et iniquité.
De quel côté qu’on aille, le mensonge est roi.
Et si j’appelle au secours mes parents en émoi,
Au lieu de me conforter, on cherche à m’attrister.
Mes amis sont des loups, injustes en amitié.

Iancu Vacarescu - La Voix Du Peuple Sous Le Despotisme

Révolte-toi, mon cœur, contre tant de patience !
Ta révolte soit terrible, après l’horrible souffrance !
Qu’il tremble ! Et que tremble l’infâme tyrannie ;
Qu’elle morde la poussière, que cesse l’avanie !
Que son corps et son nom jusqu’aux enfers descendent !
Que ses nombreux amis avec la tyrannie sombrent !
La justice faisant, le peuple est dans son droit ;
Son sage jugement dans ses actes se voit.
Les fils de la liberté sont tous sous sa banière,
L’esclave déchire ses chaînes ! Les justes unis sont fiers.
Le peuple confiera la bare à ses fils bien élus.
Et les despotes châtiera pour qu’ils ne règnent plus ! .
Que tremble ! Oh, que tremble l’odieuse tyrannie !
Brisé sera celui, qui pense la faire revivre.

Ienachita Vacarescu - Pauvre Tourterelle

Oh, bien pauvre tourterelle,
Demeurée si seule et frêle,
Sans son époux pris pour cible ;
Sa tristesse est indicible.

Tant qu’elle vit, son deuil elle porte,
Plus d’ami elle ne supporte.
Elle passe par fleurs et bois,
Ne regarde ni ne voit.

Elle traverse le jardin vert,
Et s’en va , au loin se perd.
Volant jusqu’à perte de soi,
Sur bois vert guère ne s’asseoit.

Si quelque part elle se pose,
C’est sur du bois sec, morose ;
Elle ne mange, ni ne boit.

Là où une eau claire elle voit,
Elle la trouble et s’en va ;
Si une eau troublée est là,
Plus la trouble et là elle boit.

Si quelque chasseur s’annonce,
De ce côté-là elle fonce,
Qu’il la tire et qu’elle tombe,
Pour qu’elle cesse de se morfondre.

Si un pauvre oiselet
Dans son cœur si meurtri est,
Jusqu’à en vouloir s’éteindre,
Pour son tendre époux rejoindre.

Alors, moi, homme de qualité,
Empreint de sensibilité,
Comment puis-je être heureux ?
Oh ! Amertume et malheur !

Ienachita Vacarescu - Dans Un Jardin

Dans un jardin
Près d’un beau brin,
J’ai vu une fleur, comme ciel serein ;
La couperai-je, oui, mais elle se fane,
La laisserai-je, oh, m’est grand effroi,
Que vienne un autre, la cueille pour soi !

Costache Conachi - La mer si tu regardais

Si la mer tu regardais
En ses moments tourmentés
De terribles déchaînements,
Si la voyais s’élancer
Contre ses côtes se heurter
Furieusement...
Et au large un petit canot
Tout entouré par les flots

Qui par instants apparaisse,
Avec un homme tout en pleurs
Qui te montre son malheur

Par des cris de détresse...
La mort il voit, fuir ne parvient,
Les mains tend et rien n’atteint

Mais se berce d’illusions :
Est-ce possible de ne point
Ressentir quelqu’émotion

Devant si grand désarroi ?
Et d’un si sauvage coeur
Regarder avec bonheur

Vers un homme qui se noie ?
Or, ce malheureux rameur
Que l’amour punit sur l’heure,

C’est moi, ma très noble Dame.
Et la mer sans fin aucune
Est le feu qui me consume,

Dont ne baisse guère la flamme !
Quant à la pitié divine
Qui me sauve de la ruine,

C’est votre clémence à vous !
N’ayez, soit, guère pitié,
Mais permettez-moi d’approcher,

Que je pleure à vos genoux