31 décembre 2009

Vasile Alecsandri - Penes, plume de dindon

Neuf nous partîmes au champs d’honneur,
Dix, le sergent en tête,
Et nul n’avait , ma foi, le coeur
Hésitant ou bien tiède!
Joyeux comme le léger faucon
qui quitte le sommet
Nous avions des ailes aux talons
et une plume au bonnet.

Quittant en plein été nos champs
Ensemble nous sommes partis
Pour délivrer des mécréants
Ce pauvre et cher pays.
Ainsi nous dit en son jargon
Le sergent Mãtrãgunã
Et nous partîmes sans façons
De bon coeur, sans rancune.

Quiconque en route nous voyait
chantant à tue-tête
Se retournait et s’étonnait
De cette humeur de fête;
Puis en passant nous demandait:
Allez-vous à une noce?
On répondait que l’on allait
A la lutte féroce!

Ah ! qui aurait pensé parbleu
En traversant la lande
Que tant de gars manqueront sous peu
De notre fière bande.
Voyez ! de neuf que nous étions,
- Dix, le sergent en tête,
Seul je demeure au bataillon
Et j’ai le coeur bien tiède !

Cobuz, berger de Calafat
Jouait si bien de la flûte
Et nous dansions à petit pas
En nous moquant des bombes,
Quand brusquement l’éclat d’obus
Grondant ... le feu l’emporte !
Coupa la tête de Cobuz
Et notre danse fut morte.


Il y a trois jours nous traversions
Le Danube aux grandes eaux,
Pas loin de Pleven nous campions
Maudits soient ses créneaux
Devant nos yeux ses murs dressait
Grivitza, la terrible
Monstre cruel qui menaçait
De ses griffes invisibles.

Les canons par centaines tonnaient ...
Tremblait autour la terre
Et des milliers de bombes sifflaient
Rapides comme l’éclair
Les Turcs dedans restaient cachés
Comme l’ours dans sa tanière.
Nos balles semblaient ne rien toucher
Eux nous ensanglantèrent,

Un bon servant, Tintes était
Car ses bombes touchaient
La fourmilière des Ottomans
Et la mort y portaient
Mais un beau jour une balle du fort
Une seule, partit errante,
Et pauvre Tintes était mort
Sur sa pièce fumante.

Par une nuit noire, Vlad et Bran
Etaient en sentinelles.
L’air bouillonnait comme chez Satan
De bombes et de shrapnels.
A l’aube on les trouva tous deux
Percés par les yatagans,
Et un grand tas tout autour d’eux
De trépassés musulmans.

Arrive le jour de la bataille
Oh, jour souillé de sang !
Chacun semblait plus haut de taille
Ayant la mort devant.
Notre sergent, un vrai lion,
Nous dit les mots suivants:
“ Vous cinq et moi tant qu’nous vivons
Les gars, tous en avant ! ”

Nous y voici !... encore un pas.
“ Hourra ! Allez! Hourra !
Mais beaucoup demeurent sans voix.
Et plus d’un ici mourra.
La redoute crache son feu sur nous
Plus qu’un dragon rapace.
Toute une rangée tombe d’un coup
Une autre prend sa place.

Burcel s’écroule dans le fossé
Sur un païen sans la vie
Soimu sur le redan dressé
Crie: “ Vive la Moldavie ! ”
Deux frères Calin, sont coupés vifs
Et baignent dans le sang;
Nul gémissement plaintif
Ni plainte de leur part on n'entend.

Par balles, épées, fumée et eau
Par mille baïonnettes,
Nous avançons toujours plus haut !
Montant aux parapets.
“ Allah ! Allah ! hurlent en vain
Les Turcs mis en déroute
Nous plantons le drapeau roumain
Sur l'horible redoute.

Hourra ! voici flotter au vent
L’étendard de Roumanie !
Nous cependant, nous sommes gisants,
Tombés à terre sans vie !
Notre sergent meurt en sifflant
Les Turcs qui se dispersent,
Et le capitaine admirant
Nos couleurs en liesse

Quand je fermais les yeux moi-même,
Ayant pris assez de peine:
“ Je peux mourir, maintenant, me dis-je,
Car la victoire est nôtre ! ”
Puis lorsque les yeux je rouvris
Après une longue nuit,
Sur mes blessures je découvris
Une belle médaille qui luit ! .

30 décembre 2009

Vasile Alecsandri - Mon Etoile

Toi, qui demeures perdue, dans la nuit éternelle
Etoile douce et chère à mon âme à jamais!
Toi qui brillais naguère si vive et si belle,
Quand nous n’étions au monde que toi et moi tout seuls.

Oh ! tendre, caressante et intime lumière !
Que parmi les étoiles recherche mon amour,
Qui souvent envers moi, quand la nuit est bien claire,
Au royaume éternel s’élève en un long vol.

Passèrent des années de larmes et passeront
Depuis cette heure terrible où je t’ai perdue !
Et rien ne me console et ma tristesse profonde
Comme l’éternité n’entend pas le passé !

Oh, plaisirs de l’amour, plaisirs si délicieux !
Sentiments ! Grandioses rêves d’avenir glorieux !
Eteints en un instant, comme des météores
Qui laissent l’obscurité profonde derrière eux.

Eteints ! et depuis lors dans ma cruelle errance
Je n’ai consolation plus vive sur la terre
Que d’élever vers toi mes pensées attendries,
Etoile souriante, d’outre-tombe, si claire.

Car oh ! combien en vie je t’ai aimée, toi,
Oh, douce consolation de mon âme et mon coeur !
Et combien de bonheur tu fis, couler en moi
Quand nous n’étions au monde que toi et moi, tous seuls !
..................................
Toi donc qui de par amour, au soleil de l’amour
As éveillé en moi de poétiques élans,
Reçois dans l’autre monde ce muguet et ces larmes
Comme le tendre écho de nos douces amours !

29 décembre 2009

Vasile Alecsandri - Le chasseur

Le chasseur s’en va en hâte, au point du jour triomphant
Le soleil, orgueilleux hôte, il salue amoureusement
Le monde joyeux tressaute; des milliers de voix sonores
Célèbrent le gai mariage de la terre et de l’aurore.

Comme une mer invisible des flots d’air limpide passent
Sur le visage du monde qu’au passage ils embrassent.
Sur la plaine toute en rosée, le pas laisse des traces vertes
Qui sous les rayons chauds sèchent, et puis lentement se perdent

Le chasseur boit sur la route la fraîcheur du beau matin,
Admire le jeu de lumières sur les verdures du chemin,
Regardant dans l’ombre chaude des fleurettes dans les clairières,
Et les sources cristallines, les vautours à plume altière.

Un peuplier droit s’élève, haut perché à l’horizon,
Et sa feuille argentée jette une ombre sur le vallon.
Le chasseur au tronc s’appuie à ses amours rêvassant
Deux écureuils sur une branche se moquent du fusil luisant.

28 décembre 2009

Vasile Alecsandri - La ronde de l’union

Donnons-nous la main, mes frères
Tous dont l’âme roumaine espère.
Formons tous une ronde amie
Sur la terre de Roumanie !

Que périsse l’herbe mauvaise
Que toute haine s’apaise
Pour que toute la Roumanie
Vive de fleurs et d’harmonie !

Toi, Valaque, voisin, compère,
Viens t’unir à moi, mon frère.
Pour la vie, pour la mort même
Que notre sort soit le même

Un homme seul en vain s’exerce
A vaincre le sort adverse.
Dans l’union nos forces triplent
L’ennemi point ne profite.

Une même mère nous vit naître,
Nous avons les mêmes ancêtres.
Deux sapins d’une même racine,
Un regard que deux yeux animent.

Un seul nom portons ensemble,
Un même sort là nous rassemble.
Toi mon frère, moi ton frère,
Une seule âme en nos coeurs espère.

Tous au Milcov allons vite,
Buvons-le d’un trait, de suite;
Que sur nos frontières anciennes
Passe la grande route roumaine.

Que le jour béni nous vienne
Où sur toute la plaine roumaine
Nous danserons de plus belle
Une grande ronde fraternelle.

27 décembre 2009

Vasile Alecsandri - La rive du Siret

Légères, les vapeurs nocturnes comme des fantasmes se lèvent
Et, flottant au-dessus des saules, s’éparpillent comme un rêve.
Luisante, la rivière se glisse comme un dragon ruisselant
Qui dans la clarté de l’aube ses écailles va mouvant.

Au matin quand l’aube pointe, je m’assois sur la rive verte,
Je regarde l’eau qui coule et puis au tournant s’arrête
Se changer en vaguelettes sur de petits galets glissant,
S’endormir auprès des gouffres, la rive sablonneuse creusant.

Tantôt c’est un saule qui penche vers l’étang sa chevelure raide,
Tantôt un barbeau s’élance dans les airs, suivant une guêpe,
Tantôt les canards sauvages s’arrêtent sur leur chemin
Battre cette eau assombrie par quelque nuage pèlerin.

Mes pensées à vau l’eau coulent, emportées par le courant
De cette rivière éternelle qui chemine doucement,
Le bocage autour frisonne, un lézard comme une émeraude
Longuement ma tête fixe en quittant sa pierre chaude.

26 décembre 2009

Vasile Alecsandri - La moisson

L’alouette qui grisolle, ses petites ailes s’agitant,
Sur une échelle de lumière tout droit du soleil descend.
L’air autour est immobile, il devient brûlant à point,
La caille dans les blés chante, la cigale dans les foins.

Dans les blés à haute paille, des moissonneurs sont entrés,
Alors qu’ils étaient humides du souffle de la rosée,
Vus de loin ils semblent tous nager dans un fleuve jaune pur,
Les filles sont sans fichu et les gars sans leur ceinture.

La faucille, lune mortelle, coupe sans cesse les épis nus,
La caille emporte ses petits; les blés déjà diminuent;
Et puis la moisson coupée et renversée par paquets
Se dresse en gerbes d’or, se monte en meules de blé.

Plus loin, travaillant alertes, un jeune gars et une jeunette
Pour chaque gerbe faite se donnent un baiser à la sauvette.
Au-dessus des champs sifflote s’envolant l' oiseau de feu;
Qu’il doit être doux à faire, le pain de leurs gerbes à eux !

25 décembre 2009

Vasile Alecsandri - L’hiver

D’un ciel blanc l’hiver terrible tamise les nuages de neige
Comme de grosses congères errantes, qui au ciel forment cortège.
Des flocons voltigent et flottent comme de beaux papillons blancs
Faisant frissonner l’épaule de mon beau pays dormant.

Jour et nuit neige et reneige, le matin il neige encore,
Un haubert d’argent recouvre le pays d’un riche décor.
Un soleil tout rond et pâle derrière les nuages luit
Comme un rêve de jeunesse à travers le temps qui fuit.

Tout est blanc, champs et collines, à la ronde un ciel d’acier.
En fantômes blancs se changent les rangées de peupliers.
Et dans l’étendue déserte, sans nulle trace ni chemin,
L’on voit des villages épars sous leur blanche fumée au loin.

Mais la neige brusquement cesse, les nuages s’en vont au vent,
Un joyeux soleil caresse cet océan scintillant.
Et voici que passe en flèche un léger et gai traîneau,
Dans l’air joyeusement résonnent les clochettes des chevaux.

24 décembre 2009

Vasile Alecsandri - Fin d’automne

Les hôtes de nos campagnes, cigognes et hirondelles
Ont quitté leurs nids en hâte, fuyant le froid et la grêle.
Les longues rangées migratrices, s’apprêtant au long trajet
Prennent le chemin du refuge, poursuivies de nos regrets.

La gaie et verte prairie est maintenant triste et fanée,
Atteints par la gelée blanche, les boqueteaux semblent rouillés.
Les feuilles tombent, dans l’air voltigent et des branches se détachent
Comme les illusions heureuses tour à tour notre âme lâchent.

De par quatre coins du monde haut s’élèvent dans le ciel
Comme des dragons fantastiques, des nuages porteurs de gel.
Le soleil aimé se cache et sous les affreux nuages
Une volée de corbeaux passe croassant d’hivernaux présages.

Le jour baisse, l’hiver arrive à cheval sur l’aquilon !
Le vent souffle sous les portes répandant de longs frissons.
Boeufs mugissent, chevaux hennissent, les chiens aboient en tout lieu,
Et l’homme triste, l’humeur pensive, tire sa chaise plus près du feu.

23 décembre 2009

Vasile Alecsandri - Au coeur de l’hiver

Dans les bois les chênes craquent ! Le gel est amer, cruel !
De glace semblent les étoiles, en acier parait le ciel
Et la neige cristalline couvrant la plaine brillante
Un champs de diamants semble, qui sous les pieds crisse et chante.

Des nuages de fumée blanche dans l’air scintillant et bleu
Se dressent comme les hautes colonnes d’un temple majestueux,
Sur lesquelles repose la voûte d’un ciel transparent et clair
Où la lune allume secrète le phare de sa douce lumière.

Quel tableau grandiose, fantasque ! ... Mille étoiles argentées
Dans ce temple immense brûlent en torches de l’éternité
Les montagnes sont ses autels, les forêts ses orgues sonores
Où le vent d’hiver s’engouffre, des notes horribles fait éclore.

Tout est ici immobile, sans nulle vie, sans nulle voix;
Pas un vol dans l’atmosphère, sur la neige pas un pas;
Mais que vois-je ? ... au clair de lune, un fantasme qui surgit
C’est un loup suivant rapide, une proie d’effroi transie !

22 décembre 2009

Vasile Alecsandri

Poète, prosateur et auteur dramatique, la vie de Vasile Alecsandri couvre le 19-e siècle presqu’entier. Né en 1818, il quitte ce monde, dont il a suivi de près les événements, en 1890. Il avait écrit ses premiers vers en français. Son recueil le plus connu a pour titre « Complaintes et Muguet » C’est un volume de pastels délicats, dans lesquels on retrouve une admirable évocation des paysages roumains suivant les saisons. Alecsandri a transcrit en vers de belles légendes et ballades roumaines. Il en a écrit lui-même d’autres. Enfin , il fut en 1859 le poète de l’Union des Principautés roumaines de la Moldavie et de la Valachie, dont il composa la chanson : « La ronde de l’Union », ainsi que le poète de la guerre d’indépendance de la Roumanie de 1877.

21 décembre 2009

George Cosbuc - Les Noces De Zamfira

Longue est la terre et large assez;
Mais comme prince Flèche le fortuné
Jamais on n'aura vu de tel;
Et il avait une fille - si belle -
Comme une image sur un autel
A adorer.

Donc si fort courtisée elle fut,
Il n'y a là rien d'imprévu.
Et de la suite des chevaliers
Qui franchirent le seuil du palais
Ce fut bientôt le mieux aimé
Qui fut l'élu.

Le bien-aimé. Lui! Arrivé
Des tréfonds de l'Orient rêvé!
C'était un prince charmant et jeune
Et la belle lui offrit son coeur,
Car c’était Viorel, lui seul,
Sa destinée.

Le bruit alors partit courant
Aux quatre coins du continent
Qui sembla mince en sa largeur
Lorsque volèrent, coururent rageurs
Ces mots qui sont plus voyageurs
Que n'est le vent!

Hier partie de chez les voisins
L'étranger la nouvelle atteint,
Dès ce jour-ci et à la ronde
Dans chaque terre en princes féconde
Elle laissa les grands de ce monde
De joie empreints.

Alors quittant leurs trônes, alertes,
Rois, empereurs se mirent en fête,
Vêtus de pourpre et de velours.
Les dames mirent leurs beaux atours,
Vite arborèrent tous leurs bijoux
Pour y paraître.

Et lorsqu'enfin fut arrivé
Le jour de noce bien annoncé
On vit venir par vaux et monts
Du large cercle d'horizons
De quatre-vingt pays en rond
Les invités.

Dès que pointa l'aube vermeille
Vinrent, craquant sous leurs corbeilles,
Demoiselles et damoiseaux;
Par chemins lisses, par monts et vaux,
Grandes calèches à quatre chevaux
De vrais soleils.

Du plus profond du monde connu,
De tout endroit su ou bien vu
Soleil levant, soleil couchant,
Venaient essaims de rois puissants
Couronnés et hermine portant,
Comme y'en n'a plus.

Gruia le vieux baron arrive
Avec dame Sanda et leur fille,
Tintesh le bien installé
Et dame Lia sont arrivés
Et Bratesh au château perché
Dans les montagnes grises.

Combien, mon Dieu? Quel monde brillant,
Les corps parés de perles et diamants!
Quelles belles jeunes filles! Mais quels trésors
De robes à traîne brodées d'or!
Sur les jeunes gens les justaucorps
Brillaient d'argent!

Les destriers en nage se cabraient
Et dans son panache qui flottait
Le vent vibrait, vif, vrombissant,
Lorsqu'un beau prince passait fièrement
Main à la hanche, l'autre appuyant
Sur son épée.

Puis vers midi l'on vit de loin
Grandir à l'horizon serein
Le beau carrosse du marié
Les beaux-parents, des invités,
Et quatre-vingt-dix chevaliers
Suivant le train.

Comme pour tout mariage princier
Un riche cortège les accueillait
Des gens de cour et foule immense,
Musique en têtes et belles danses;
Les chemin fut un tapis dense
De fleurs de mai.

Et lorsque tous ils s'arrêtèrent,
Prince Paltine mit pied à terre;
Se mirent à sonner à la fois
Canons, trompettes et hourras...
Mais que dis-je là? Les mots sont plats
Et trop austères!

Alors au bout d'un haut perron
De la blanche chambre du donjon
Parut Zamfira au pas léger.
Jolie comme un songe d'été,
Haute, les cheveux bouclés
Et blonds.

Une rose du val elle semblait;
Une ceinture d'argent serrait
Sa taille gracieuse; belle à rêver,
Elle était telle que je ne sais
De plus jolie imaginer
Dans mes pensées.

Doucement elle avança vers lui,
Et lorsque la main il lui prit
Elle rougit, troublée d'amour,
Puis au signal d'un jeune tambour
Se mit en marche toute la cour
Petit à petit.

Pendant l'office du mariage
Au son des flûtes sur le passage
Le peuple se mit à danser.
Pour dix jeunes filles cinq chevaliers
Avec, tous, des clochettes aux pieds,
Comme au village.

Trois pas à gauche doucement,
Trois petits pas à droite gaiement;
Les mains se lient et se délient,
On forme une ronde puis une longue file,
On frappe la terre d'un pied agile
Allègrement.

Quant au repas- un fleuve de vin!
Et tout un champ fut presque plein
De tablées des hôtes royaux
De duchesses, ducs, parents ducaux
Placés avec des généraux
Venus de loin.

Il y eut tant de joie, de chants,
L'on n'en avait jamais vu tant!
Le soleil même resta sur place
Heureux d'avoir enfin la chance
De voir autant de joie, de danses
Sur cette terre!

Il aurait fallu voir danser
Filles de rois et hôtes princiers,
Si jolies toutes et le corps beau,
Les yeux rieurs de renardeaux,
Les courtes robes volant très haut,
Les cheveux bouclés!

Princes et preux chevaliers
Dont les masses d'arme bien maniées
Avaient tué des dragons de Satan!
Si vous les aviez vus dansant,
Princes charmants, princes vaillants
Et chanceliers!

Le roi Panache même, voyant
Un nain barbu les regardant
Sur le côté, en spectateur,
Le fit danser! Et parmi les noceurs
Le nain sautillait de tout coeur
Comme un vaillant!

Les vieux sont durs à faire bouger,
Mais aussi durs à arrêter!
Les rois à la barbe fleurie
Et leurs conseillers érudits
Dansèrent quarante jours de suite
Sans se lasser.

Le bon roi Mugur, joyeux père,
Premier de tous entre les pairs,
Leva son verre rempli de vin
Suivant la coutume des Anciens
A toute noce entre Roumains,
Et ils toastèrent!

Il dit: Autant que de pavots que le vent sème
D'années aux mariés je souhaite,
Un petit prince dans un an d'abord
Doux et petit, puis grand et fort,
Et nous, nous danserons encore
Pour le baptême!

20 décembre 2009

George Cosbuc - Les ennemies

Laisse, mère, mes yeux, laisse-les pleurer!
Enfant de la main gauche tu m'as bercée
Pour que je sois si empotée.
Mais je n'ai pas, pardi, juré
D'aller en terre sans avoir pleuré!

Oh, pas que Leana me fasse peur,
C'est par dépit maman, que je pleure.
Ses mots je ne m'en soucie guère,
Mais j'en ai honte et mal, ma foi:
Elle dresse le village contre moi.

Chez les voisins elle me montre du doigt
Que je n'ai pas de fichu de soie
Ni tablier à fleurs ni dentelle, et puis quoi?
Je ne lui ai rien demandé, que j'aie ou non,
Et nul autre de notre maison.

Sur la route avec ses commères,
Leana se gausse: "J'enrage, ma chère,
Pensez, qu'elle se mesure à moi et fait la fière!
Imaginez, hier au moulin, son harangue:
Que je sois stupide et mauvaise langue!

Et savez vous ce qu'elle a en tête?
D'être la bru de Dame Luxette?
Quelle effrontée! Vous la voyez aux fêtes?
Quelle jupe! Ce n'est même pas croyable!
Signez-vous, vous en rêverez!

Je n'en voudrais, même obligée
Ce qu'elle se met, c'est à jeter.
Les mêmes vêtements pour travailler
Et le dimanche au bal, les mêmes,
Et depuis quand, dites, quand même!

Luxette est dame de qualité
Elle voudrait une bru fortunée,
Pour vivre riche, dans l'opulence.
Elle ne ramassera pas de sitôt
Sa belle-fille dans le ruisseau.

Qu'elle prenne pour bru une bougresse!
Mais c'est une gueuse, une pauvresse,
Que ne demande-t-elle l'aumône, après la messe?
Leur maison-même, n'est pas a eux
Et ils n'ont ni cendres ni feu!

Entends-tu, mère, ce qu'elle me dit?
Elle n'a de cesse ni répit
De me traiter de noms maudits!
Si je devais lui répliquer
On irait devant les jurés.

Elle coupe ma route en espérant
De moi quelque mot provoquant
Et si je me tais, elle enrage
se ronge les sangs!
Si tu entendais, mère, ce qu'elles disent,
Elle et sa mère parlent pour dix!

Sa mère tiendrait tête à une foule
Et de venin Leana se saoûle.
Elle me marcherait sur la tête, si elle pouvait
Mais je n'mourrais pas pour leur plaire,
Et leur pitié je n'en ai que faire.

Je ne suis pas mourante de faim
Et je tisse seule ma toile de lin,
Je m'habille comme le font les miens
Je n'ai pas d’ soie, j'ai ce que je peux,
Ni trop fameux, ni trop miteux.

Me mesurer a elle? Dieu grand!
Comment pourrais-je? Elle a de riches parents,
Quelle robe comme elle ai-je eu, ma foi,
depuis longtemps?
Au bal je suis toujours là-bas,
Avec les filles de mon état!

Et l'ai-je, moi, jamais taquinée?
Ai-je dit du mal d’elle et m'en suis-je moquée?
Vais-je me montrer bien mise pour la dépiter?
Je sais son hic, moi, c'est bien ça,
C'est lui, Lisandru, tout est là!

Mais quoi? Je le tiens ligoté?
Je le retiens? Voyez!
Il vient tout seul, de son plein gré
pour me chercher
Je ne vais pas la porte lui fermer au nez,
Et s'il s'attarde, comment le chasser?

Suis-je après tout à condamner
Si Leana cherche comme enragée
A l'attirer chez eux
à la veillée?
Si lui n'y pense , ni ne veut,
Elle jure et blasphème comme un gueux!

Elle peut lui faire des charmes par milliers
La vilaine crève de dépit.
Que je suis plus belle qu'elle
......
Elle peut bien être une princesse
Ce qui est a moi, a elle ne l'est,

Beau le bétail, bonnes les richesses,
Mais un garçon si on le laisse
Choisir à son coeur
sa promise
La fortunée garde ses boeufs
Elle vieillira seule avec eux!

19 décembre 2009

George Cosbuc - Le combat de la vie

L'enfant ne sait guère ce qu'il veut.
Pleurer, là est tout ce qu'il peut.

Mais rien n'est si lâche et veule
Qu'un homme qui gémit et pleure

Ni ridicule comme les larmes
D'un combattant au champ honneur.

La vie est lutte, eh bien luttons,
Avec amour, avec ardeur

Au compte de qui? On ne vaut rien
Si on n'a pas de but majeur.

On a les siens! Si seul on est
Lutter pour tous est notre honneur!

C'est une sublime tragédie
Lorsqu'un soldat vaincu se meurt,

Mais son geste devient épopée
Si le héros finit vainqueur

Est un bouffon celui qui pleure
Un rien, un nul, un déserteur.

De quel côté que penche le sort
Vois ton devoir: sur place demeure!

Seuls vivent ceux qui la lutte acceptent
Le peureux se lamentent et meurent.

S'ils veulent mourir, les laisses faire
Car la mort est leur seul honneur.

18 décembre 2009

George Cosbuc - La mère

Au gué les eaux rapides s’agitent
Et grondent sur leur passage
Les peupliers les soirs humides
Murmurent de tristes présages.
Au croisement de mille chemins
Qui tous au moulin mènent,
Je t’aperçois, ma mère, soudain
Dans ta maison lointaine.

Tu files. Dans l'âtre pauvre brûlent
Et doucement crépitent
Trois bouts de bois d'une vieille clôture
Et geint la flamme trop petite.
Elle brille à peine et de guerre lasse
Menaçant de s'éteindre...
Lumières et ombres s'entrechassent
Sans trop les coins atteindre.

Deux petites filles partagent ton sort,
Filant la même laine.
Elles sont si jeunes, leur père est mort,
Pourvu que George vienne!
Un conte de fées aux mille dragons
L'une d'elles se met à dire.
Tu écoutes à peine: le conte est long
Les soucis te déchirent.

Ton fil bien trop souvent se casse
Pensive, tu murmures
Des mots étranges à voix basse,
Les yeux fixant le mur.
Ton fuseau tombe, tu t'arrêtes,
La laine s'éparpille,
Tu la regardes absente, muette
Devant tes pauvres filles.

Oh non! Le doute n'est pas permis!
D'un bond tu pousses ta fenêtre,
Cherchant à transpercer la nuit.
"Qu'as-tu vu? Quelque spectre?
- Personne! Il m'a semblé entendre..."
Et la tristesse t'accable.
Chaque parole se met à rendre
Un son de chant macabre.

Puis sur le tard, sans plus les yeux
Lever de ton ouvrage:
"Je sens que je mourrai sous peu,
Je perds la tête, c'est l'âge!
Que sais-je encore à quoi je pensais!
Vous avez un grand frère.
Il m'a semblé qu'il arrivait,
Faisant crisser les pierres.

Ce n'est pas lui... Le voir revenir
Je revivrais une vie.
Mais il est loin. Je vais mourir
Sans que son bras m'appuie.

Ainsi le veut peut-être Dieu.
Tel est mon sort, ma peine:
Que je n'aie pas devant mes yeux
Mon fils à l'heure extrême."

Il vente dehors. Le ciel est gris.
Seule dans la nuit tu veilles,
Les deux gamines sont dans leur lit,
Toi seule, ma bonne vieille,
Tu regardes l'âtre en pleurant:
"Si loin! Pourvu qu'il vienne!"
Et tu t'endors, à moi pensant,
Pour que tes rêves m'amènent.

17 décembre 2009

George Cosbuc - L'hiver au village

Il s'est mis à tomber hier
Deux-trois flocons. Mais c'est fini.
Les nuages sont moins gris
Vers l'occident, ils s'agglomèrent
Sur le pays.

Sans soleil, il fait juste bon
La rivière est en fumée,
Le vent maintenant s'est calmé
Et un grand vacarme monte
De la chaussée.

Sur leurs luges une bande d'enfants
Descendent la côte en gaieté
Et de rire et se vautrer
Dans la neige se prosternant
Bon gré, mal gré.

Quel boucan! Comme un moulin
Tous ensemble ils font du bruit,
Comme à travers les haies de buis
Les moineaux se chamaillent pour rien
Avant la pluie.

Les grands se cherchent querelle
Et prêts à s'empoigner s'emportent
Les petits que la faim porte
Pleurnichent sans qu'on les appelle
Devant leur porte.

Près du coin voici paraître
Un bout d'homme haut comme un point.
Ses pas sont d'un pouce pas moins
Il est petit à croire peut-être
Qu'il n'est point.

Sa veste balaie par terre,
La traîner à peine il peut.
Cinq comme lui entrent en son creux
Le vent peut souffler, mon père
Tant qu'il veut!


Messager il parait être!
Sa mère au village l'envoie,
Très important il se croit
Il s'élance et veut paraître
Un homme déjà;

Il tombe, se relève sitôt
Repoussant vers sa nuque naine
D'un agneau entier la laine,
Un bonnet fourré plus gros
Que lui même

Nageant dans les neiges il avance,
Mais soudain les yeux brillants
Il s'arrête net voyant
Arriver la meute dense
Des enfants!

Vite il cherche un refuge
Un détour, il est perdu,
Mais les enfants déjà l'ont vu!
Et ils foncent sur leur luges
Bride rabattue.

"Regarde-moi donc quel bonnet
Gros comme une journée sans pain
Il porte un ours, ce malin,
Sept village y entreraient
Pour le moins!"

Certains se moquent de sa tête
D'autres aimables, mine de rien,
Ont juré sans goutte de vin
De faire perdre toute sa tête
Au bon chrétien!

Voici un vieille qui s'amène
Avec une veste déchirée
D'une corde de tilleul ceinturée
Elle s'arrête soudain amène,
Etonnée.

Puis en colère, mais, en vain,
Elle défend le Petit Poucet
- Vous êtes bien fous à lier!
Pauvre chat, donne-moi ta main
Pour t'en tirer!

Vous voulez avec des pailles
Eteindre une meule de foin
Qui a flambé. C'est pas roumain!
La vieille trouve dans cette marmaille
Un dur parrain

Comme une chouette on l'entoure
On lui fait cortège de cris
Sans lui donner de répit
Pleine est la ruelle autour
De leur bruit.

Pas moyen de leur faire suivre
Leur chemin de leur plein gré
Ils rient et sautent à cloche-pied
Ils tournent, crient et, les poursuivent
Acharnés.

La vieille a perdu la face:
Elle frappe, jure, joue des mains.
- Diables, êtes-vous des païens?
Oh! Bonne mère! Il faut une masse
Comme pour les chiens!

Avec son bâton elle tourne
Pour dégager une allée
Mais à peine son chemin elle fraie
Que la foule y retourne
A toute volée.

Ainsi toute la bande avance
Dans un terrible boucan;
La vieille, capitaine du clan,
Se signe cherchant défense
Contre Satan.

Les chiens sont de la partie.
Ils sautent, aboient excédés,
Les femmes viennent regarder,
Des vieux sortent de leur taudis
Etonnés.

"Quel est ce vacarme qui monte de la rue?"
Ce n'est rien. Des gosses braillards
Ca alors, quel tintamarre!
On dirait une cohue
De Tartares.

16 décembre 2009

George Cosbuc - L'été

Sans but je regardais au firmament
Dans sa sauvage splendeur
Le mont Ceahlàu, à l'Occident,
Loin dans le bleu du ciel baignant
Son front géant, dans la solaire ardeur,
la garde du pays montant
Pareil à un mystère errant
Un nuage du sommet voisin
Flottait dans le gouffre serein
N'ayant plus d'ailes pour s'envoler!
Et l'air entier était tout plein
De chants d'oiseaux tout gazouillants;

Alors, ivre de charme, les yeux
Je tournais vers la terre, les champs,
Et les épis dansaient au vent
Comme, dans la ronde aux joyeux chants,
Les jeunes filles blondes en cheveux
Lorsque tressaute leur long vêtement.
Garçons et filles dans les blés mûrs
Une doïna en choeur chantaient,

La vie dans leurs yeux brillait,
Le vent jouait dans leurs cheveux,
Des agneaux blancs à la source couraient,
De gris étourneaux en bandes s'envolaient.

Combien tu es belle et parée
O nature, comme une vierge sereine
Au pas chéri, au visage adoré!
Je voudrais de bonheur pleurer,
Sentir ton souffle divin,
Voir ce que tu as créé!
Mon coeur est de larmes trop plein,
Car tous les miens ont, tour à tour, été
Enterrés là et j'y serai de mon côté!
C'est une mer - mais une mer sereine -
Nature, que ma tombe et ton sein,
Tout y est chaud et tout y est lumière.

15 décembre 2009

George Cosbuc - A Pâques

Les branches sont pleines de gazouillis,
Plein de soleil est l'air
Et de blancs chattons les saules sont garnis -
Tout est en paix, ciel et terre.
La souffle chaud du beau printemps
Arrive au jour de la Résurrection.

Et comme il fait beau au village!
Arrivent silencieux les chrétiens de la vallée
Et deux se rencontrant au passage
Se saluent par: Le Christ est ressuscité!
Et leur vissage par le soleil halé
Offre à la fête un sourire étalé.

Un petit vent à peine berceur
Murmure dans l'air des mots glacés:
Le vol bruissant de l'âme des leurs
Les arbres baissent leur front aussi
Au passage du Saint-Esprit.

Le calme règne. Et de l'autel
Le chant en vers longs psalmodiés
S'élance au loin dans les vallées -
Et les cloches sonnent à toute volée
Oh, Dieu! Les entendre d'en bas
Rire joyeusement et pleurer au trépas!


L'église là-haut sur la colline,
Est pleine aujourd'hui de lumière,
Car tout ce monde exulte et espère
En cette pensée du ciel bénie
En nos actes est notre sort
La vie est tout, non pas la mort.

Sur la colline montent doucement
Jeunes épouses et jeunes filles,
Vieilles gens la chevelure enneigée par la vie;
Et doucement derrière tout le monde,
Avance hésitante une vieille femme
Tenant son petit-fils par la main.

Ah, à nouveau tu me reviens,
Toi, mère de mes jeunes soeurs!
Je sais qu'en ces jours-ci tu pleures
Encore ton enfant qui ne vient !
Sourire aujourd'hui le Ciel nous commande -
C'est Pâques! Ne pleures pas maman!

14 décembre 2009

George Cosbuc

Né en 1866 et mort en 1918, George Cosbuc est un poète du village roumain et de la nature ; un poète à l’optimisme robuste et sans complexes . Il débute par la publication du poème « Les Noces de Zamfira ». Son premier volume paraissait en 1893 sous le titre de « Ballades et idylles ». Trois ans plus tard, en 1996, Cosbuc publie son volume de « Fils à retordre ». Les poèmes de ce volume sont plus graves que les précédents. Enfin, son troisième volume « Chants de bravoure » parait en 1904. Entre temps Cosbuc avait traduit en roumain l’Odyssée, l’Enéide et la Divine Comédie., ainsi que le poème sanskrit Sakuntalà de Kalidasa. Il était devenu aussi membre de l’Académie.

13 décembre 2009

Alexandru Macedonski - Le Rondeau Du Pont D'Onyx

Le pont d’onyx soudain ploie
Sa haute voûte gracile arquant
Et des feuilles une à une choient
Sur l’azur clair de l’étang.

Du côté soleil-couchant
De sanglants torrents rougeoient.
Le pont d’onyx soudain ploie
Sa haute voûte gracile arquant.

Des mandarins devisant
Des signes de pluie voient
Tandis qu’une barque ondoie
Sur les eaux en trésautant,
Sous le pont qui soudain ploie.

12 décembre 2009

Alexandru Macedonski - Le Rondeau Du Rossignol

Le rossignol qui donne couleur
A nos vivifiants frissons,
Réveille dans les abricotiers en fleur
Le frais zéphyr des violons.

Comme dans une fête de blancheur
Dans l’enneigement des blancs buissons
Le rossignol donne couleur
A nos vivifiants frissons.

Et dans la si calme splendeur
Que la lune verse à profusion,
De la vie la belle ardeur
A un quelconque mortel, disons,
Le rossignol donne couleur.

11 décembre 2009

Alexandru Macedonski - Le Rondeau Des Fleurs De Lune

Fleurs de lune qui s’accrochent
L’eau transforment en fin brocart ;
A travers les arbres approche
Un petit air de Mozart.

Vers Saint-Cloud en face, tout proche
La vague qui se brise repart
Fleurs de lune qui s’accrochent
L’eau transforment en fin brocart.

Sur la Seine verte et si proche
De longs frissons doux s’écartent
Et les berges qui approchent
Quand les bateaux se séparent
Fleurs de lune blanche accrochent.

10 décembre 2009

Alexandru Macedonski - Le Rondeau De La Ville Des Indes

Brisée fut la grande ville
Par la dureté des temps ;
Sur son défunt mouvement
Pousse une forêt tranquille.

Oubliés furent l’ouragan,
La gloire à l’éclat fragile.
Brisée fut la grande ville
Par la dureté des temps.

Sous le soleil envoûtant
Les marbres et porphyres brillent ,
Des traces d’anciennes énergies
Achèvent de se perdre dans le néant
Brisée fut la grande ville.

09 décembre 2009

Alexandru Macedonski

Alexandru Macedonski est un poète contemporain d’Eminescu et que l’on ignore souvent à tort. Il a vécu entre 1854 et 1920. Symboliste, ses recueils de vers sont: „Prima verba” (1872); „Poésies” (1882), „Excelsior” (1895), „Le livre d’or” (1902), „Fleurs sacrées” (1912) et « Le Poème des rondeaux », ouvrage posthume publié en 1927.
Comme Musset, il écrivit des « Nuits », mais sur un ton assez différent. Francophone parfait, Macedonski a publié un volume de vers en français intitulé « Bronzes », recensé par le « Mercure de France ». Il a aussi écrit en français une prose poétique intitulée « Le Calvaire du Feu ». Son mauvais caractère lui valut beaucoup d’ennemis parmi les écrivains et les puissants de ce monde. Original en toute chose, il mourut en respirant un intense parfum de roses.

08 décembre 2009

Les grands noms du19-e

L'union en 1959 de deux des principautés roumaines de l'époque (la Moldavie et la Valachie) porta d'abord au premier plan le poète Vasile Alecsandri donnant ensuite un élan sans pareil à la culture roumaine. Le romantique Eminescu demeure de nos jours encore le poète de référence de la littérature roumaine.

04 décembre 2009

Vasile Carlova - Le soir

Lorsqu'à peine voit-on du soleil les rayons
Au flanc d'une montagne sur un nuage au rose front
Et qu'un zéphir plus frais commence à soupirer
Dans les feuilles, sur la plaine, plus fort un tantinet;

A cette heure agréable, dans de tristes valées,
A l'écart des grands bruits, souvent je me retire,
Au point le plus élevé, je m'asseois désolé,
Pour, à la solitude; compagnie tenir.
……
Lorsqu'une plaine en herbe devant moi je regarde,
Et que mes yeux de courir sur celle-ci sont lassés,
Le paysage de cette plaine de fleurs toute parsemée,
S'assombrit de la nuit qui avancee retarde.

Lorsqu'un bosquet touffu, au front bien trop altier
Couronne tout ce champs, pour que plus beau il soit.
Et sans cesse de son sein déverse avec bonté
Sur l'étendue lointaine un vent un peu plus froid.

D'un côté, là encore, un petit ruisseau serpente
Et pareil à une toile se voit là-bas tout blanc
Et qu' il nous semble même qu'il s'agite sous le vent
Mouvant sur les galets sont flot tout blanc

Et avec quel plaisir, de loin on peut entendre
Des voix de belles bergères, la flûte d'un pastoureau,
Qui revenant des champs, se retire dans la lande,
Laissant pour le garder le bon chien du troupeau.
…….

Doucement la lune aussi, provisoire maîtresse,
Monte à l'horizon, la plaine blanchissant,
Et contente pleinement, d'un bon front de tendresse,
Elle poursuit son chemin, parfois en remerciant.

Maintenant doucement arrive le sommeil reposant,
Dans ses bras doucement prenant chaque mortel…
L'être si généreux du ciel alors commande
A la terre charitable d'être dans l'éternel.
…….
Mais à cette âme triste et privée de tendresse,
Repos ni contentement, je ne sais pas trouver;
Sans cesse la joie du cœur s'en va ailleurs chercher
Et elle erre en peine partout avec tristesse.

Ce qu'elle cherche ne sait, mais elle sent bien l'absence
De cet être qui puisse son bonheur faire venir.
Et ne pouvant trouver ce que tant elle désire
Dans les brumes du chagrin, plus loin elle s'avance,

Exactement pareille au canot qui en mer
Errant dans la tempête, ne retrouve plus la terre;
N'ayant plus nul espoir que quelque vent chanceux
Par hazard la rejette au bord de la grande bleue.

03 décembre 2009

Vasile Carlova - Les ruines de Targoviste

Oh, murailles attristées! Oh, monument glorieux!
Du haut de quelle grandeur, vous brillâtes sous les cieux,
Aux temps où un soleil plus doux et plus heureux
Sur cette terre asservie répandait ses grands feux!

De la gloire ancestrale, rien plus ne reste là?
Tout autour on ne voit plus la trace d'un pas.
Et tandis que naguère, tout mortel attentif
Vous regardait ému, d'un œil admiratif,
Maintenant avec quelle crainte, recule-t-il sur ses pas,
Dès que ses yeux sur vous se posent avec effroi…
Et pourtant, tristes murs; c’est pour nous un plaisir
Lorsque l'oeil vous regarde aux moments de loisir;
Si vous faites pitié, de grandes idées inspirez.
Et par votre existence-même d'exemple vous servez
Tandis que les glorieux et admirables faits
De l'humaine tribu de ce monde disparaissent;
Que toute chose se perd; que la trace de nos pas,
Sur les ailes du temps à tout jamais s'en va.
Que l'homme-même, en toute chose parfait,
Sans crier gare s'effondre ou le trépas connaît..
Quant à moi, par ma foi, je préfère vraiment,
Vos ruines regarder en rêvant longuement,
Plutôt que de beaux murs; plutôt qu'un fier palais,
Plein d'éclat et lumière, mais inutile en fait.
De même qu'un berger, qui traverse l'alpage,
Court vite pour s'abriter, voyant venir l'orage.
De même moi maintenant, en proie à la douleur,
Vers vous me consoler; je viens les yeux en pleurs.

Ni des Muses le chant, ni la clémence des cieux,
Mais ma patrie je plains avec grande douleur.
En vous, en vous je cherche l'espoir d'une ressource.
Vous êtes de toute parole et toute idée la source.
Quand le bruit d'une journée partout cesse de battre,
Quand l'homme par ses efforts et malheurs épuisé,
Dans la paix de la nuit se trouve alité,
N'ayant même à cette heure de trêve dans mes pensées,
Vers vous je cours encore confiant et esseulé
Et par votre vision, si triste inspiré,
De notre noir destin je m'apperçois outré.
Je reste près de la tombe de la gloire roumaine
Et j’entends une plainte de choses très humaines;
Il me parait entendre encore une voix du passé

Prononcer ces paroles: "Hélas! Qu'est-il resté,
Si la plus grande gloire comme une ombre est passée,
Si l'esprit le plus libre avec elle s'est éteint!"
……….
Acceptez donc, ruines, tant que je suis sur terre,
Que je vienne pleurer sur votre cimetière,
Où le tyran n'ose pas, heureusement, se montrer,
Car votre vue-seule suffit pour l'effrayer

02 décembre 2009

Vasile Carlova - Priere

Haute personne clairvoyante,
Source puissante et consolante,
Sainte défense de notre terre!
Prête l'oreille, point ne dédaigne
Une voix humble; qui veut clémence
Qui pour une plainte ose t’adresser!

Il n'est pas digne de laisser se perdre
Au vent, en fumée, une prière
Faite en larmes devant l'autel,
Où le secours cherche tout homme,
Demandant quelque bienfait
Ou la fin de son malheur,

Où toute personne, qui t'adresse
Un voeux secret, humble se dresse
vers ton visage avec espoir,
Où même toi penses devoir
Montrer à tous pour leur grande joie
Que tu es prêt à les aider!

…..
Je ne demande ni luxe ni chimères,
Justice je veux et le salut
De ma patrie, désolée terre,
Oh! dont les tristes malheurs nombreux
Qui pourrait oh! entendre dire

Sans plus la plaindre, lui faisant foi!
Vers elle te penches, vois comme elle souffre,
Comme de se plaindre elle n'ose plus
Se sentant la risée de tous ,

Quand la justice ne compte plus guère;
L'opprimé même n'ose plainte faire
Car toute faute sur lui retombe.

Assez de siècles d'un sort marâtre,
Vouée sans cesse à cette vie saumâtre
De condamnée, de mal en pis!
Assez de siècles, se lamente-t-elle,
En proie aux affres; sans nul répit
Au point de ne plus voir le ciel!
…..
Mais que peut être cette lumière,
Qui là-haut brille d’une flamme entière
Et avec elle ce bruit si doux?
Ce ne peut être signe de tempête,
Puisque le vent les nuages arrête
Et partout règne un ciel serein.

Serrait-ce peut-être pour ma patrie
Une bonne nouvelle de joie amie,
Que la prière qu'elle avait faite,
Le saint exauce et la fait sienne
Que par ce feux il la prévienne
D'une délivrance qui la guette?

Vérité dis-je que cette lumière,
Annonce une vie de joie entière,
Qui se prépare pour ces contrées,
Qui demandée; soumise arrive,
Pour ma patrie à jamais vive
La lui offrir comme destinée.

1830

01 décembre 2009

Vasile Carlova

Né en 1809 et mort très jeune en 1831, le poète Vasile Cârlova marque en fait le début de la poésie roumaine moderne. Il avait commencé par traduire Voltaire, puis encouragé par Heliade Ràdulescu, il débuta dans la revue "Curierul românesc" par un poème romantique consacré aux ruines de Târgoviste, ancienne capitale de la Valachie.

30 novembre 2009

Ion Heliade Radulescu - Une nuit sur les ruines de Targoviste (1836)

Le soleil sur les collines brille encore un petit peu.
Ses rayons de rouges rubis annoncent le couchant,
Et le soir qui nous guette de sous chaque rocher,
Doucement étale son ombre plus haut sur le ciel bleu.

…….
Sur le sourcil de la butte, sur son front ravineux,
Un nid d’aigle ancien, un lieu de foi ardente
Conserve le souvenir d’une nuitée sanglante
Qui fortement ressemble à mon cœur ténébreux.

……….
Je ne suis pas là ,oh, ombres, pour troubler votre paix.
Mon âme égarée court parmi vous ici ;
C’est mon repos aussi que votre lieu de vie ;
Je suis moi-même une ombre poussée par le malheur.

……….
Je chante en pleine nuit vos victoires d’antan,
Et sur vos tombes là je tresse des lauriers ;
Victoires, faits de bravoure, et sentiments guerriers
Je recommande au monde, j’annonce à vos enfants.

La plaine, là, me montre les orgueilleuses guerres
Et combien de triomphes sur ces buttes on fêta ;
La rivière peut nous dire combien de sang ici
Par les siècles passés ses ondes ont porté.
….
C'est là que Radu Negru, – dit une voix sonore –
Installa son vieux trône, le brave au bras d’airain ;
Tout Valaque près de lui, sous sa bannière alors
Défendait sa bonne terre avec un cœur roumain.

A la tête d’une armée, le brave Mircea crie fort ;
Inspire du courage à ses roumains soldats ;
Il diminue l’orgueil de Murat, en vainqueur
Et le pays est libre du Danube aux Carpates.

Le Balkan à ses pieds vit les fils du Croissant
Battus, chassés, fuyant, cherchant à se sauver ;
Le Danube est témoin du prix de ces lauriers
Que les fils de Roumains arrachèrent vaillamment.

Je vois en Moldavie, la gloire des Romains
Renaître sous Etienne le Grand et les Anciens
Revivre à nouveau ; la bravoure en son temps
Exhortait les Roumains à battre les tyrans.

Au château fort de Neamt, je vois une héroïne,
Moldave en toute chose, spartiate par son courage
Démontant la lâcheté étrangère au Moldave,
Et préférant la mort plutôt que la ruine.

Ici Michel le Brave éveille la vigueur,
Ses étendards au vent s’agitent déployés.
Sous sa bannière il range toute la roumaine nation
Les clairons sonnent fort, les braves sont légion.

Les Buzescu commandent, les Tartares ils effraient,
Le Khan mord la poussière à leurs pieds de vainqueurs.
Calomfirescu brûle de leur belle renommée
Et son bras pousse le fer avec plus de vigueur.

A sa voix de guerrier les forteresses s’écroulent,
En son oeil la bravoure est un feu dévorant.
Père Fàrcas, lui, brûle et sa croix haut brandit :
En commandant d’armée et en prêtre vengeur.

Le Pacha à longue barbe commande la retraite,
Et Manaf le barbare, le dur, perd tout courage ;
L’Arabe ivre de sang enchaîné, fou de rage…
De janissaires cruels le champs d’bataille est plein.

Le Danube est la tombe de l’armée musulmane ,
La croix triomphe en plein et le Christ est vengé ;
Le Roumain terrorise l’orgueil des Ottomans :
Le porteur de la croix triomphe à jamais.
…..
Oh, murs ! tristes vestiges de la gloire ancestrale !
Oh, tour ! par où mille fois le regard vit au loin
La victoire donnant des ailes à cette armée roumaine,
Dans vos muets soupirs, que de choses vous me dites !

Cette mousse verdâtre que le temps fait pousser,
Ces mauvaises herbes là qui seules ici poussent,
Eveillant la bravoure au regard des esclaves.

Oh, intrépides guerriers ! lorsque la feuille soupire
Et lourdement gémit, le vent en dessous des voûtes,
C’est votre nom pareil à une onde limpide
Qu’ils murmurent et qu’ils glissent dans ces murs crevassés.

29 novembre 2009

Grigore Alexandrescu - Lever de lune A Tismana

Comme en cette belle nuit, où la lune d’un rayon pâle.
Sur le front de mon amante de vives ombres animait,
Jamais d’un si beau paysage, mes yeux n’avaient vu l’égal
Ni de lune aussi charmante, de ma vie je n’admirais.

Tout d’abord comme une étoile, comme une chandelle qu’au loin
Le voyageur seul allume pour le désert égayer,
A travers d’épais branchages de la forêt de sapins,
Parmi les feuilles mouvantes, je la vis étinceler.

Puis, comme ses rayons obliques un pan de mur font surgir
Qui sur la crête se dresse, demeure triste, inhabitée,
Cette ruine elle caresse d’un livide et vague sourire,
Comme un rêve qui se glisse dans une âme ravagée.

Puis, globe de rubis, qui prête vie à cette nuit obscure,
En montant, tout autour d’elle, d’épaisses ombres elle écarte,
A la pointe de gros chênes, pyramides de verdure,
Elle s’arrête, son regard pâle sur le monde elle projette,

Elle éclaire de profonds gouffres. Le vieux monastère là-haut,
Forteresse féodale que ses tours et grands créneaux
Sous la lune font paraître, en y regardant de loin,
Quelque vieux et légendaire château écossais d’Ossian,

Où les génies et fantômes avec violence se heurtent;
Et le désert sans limites et le sentier égaré,
Le rocher, la grotte profonde, habitée aux temps passés
Par un saint ermite du lieu, qu’adorent les malheureux.

Combien douces m’étaient ces heures d’extase et de réflexion:
Ces murmures, ces chuchotements qui prônent vie dans le désert,
Le silence profond des tombes qui régnait au monastère,
Lieu de tumulte naguère et de politiques tourbillons.

La nuit, tout, à cette scène donnait une colossale grandeur,
Et deux instincts des plus nobles avec force elle éveillait:
L’un la foi au ciel, et l’autre, pour la patrie l’ardeur,
Qui jadis sur ce même site les ancêtres animait.

Nos montagnes souvent furent cher asile des libertés,
Et de leurs sommets naguère pareils à de vifs torrents,
Les Roumains sur les Barbares tant de fois se sont jetés,
Que ceux-ci venus en lions, s’en allaient en cerfs au sang.

28 novembre 2009

Grigore Alexandrescu - Les miroirs

J’ai lu il y a longtemps, dans je ne sais quel livre,
Que dans un grand pays, pas très loin de nos rives,
L’agréable beauté passait pour disgracieuse.
Ceux qui la possédaient se sentant monstrueux
Tandis que d’une beauté radieuse
Etaient tenus les plus hideux.
De miroirs en ce lieu, il n’y en avait plus guère
Et l’on interdisait d’en faire venir d’ailleurs
Ainsi toute femme ou homme
Pensait de sa personne
Ce qu’il entendait dire,
Car même l’onde du fleuve qui la ville traversait
Si noire était, si sombre et sale d’ aspect,
Que l’on ne pouvait même son ombre y voir luire.
Pourtant voici qu’un jour, après maintes années noires
Comme un bateau passait, chargé de beaux miroirs,
Près du curieux pays que cette histoire indique,
Une tempête terrible, rendit la mer houleuse.
Je devrais dire plutôt, une tempête heureuse,
Occasion de changements d’utilité publique;
Car, pour le bien commun, une perte importante
Ne me semble pas grande.
Surtout si cette perte, ne me concerne guère.
Poussé donc par les vagues, le bateau faiblissait.
Il se brisa, mais de sa marchandise, peu au fond fut perdue,
Car dans son grand mouvement, l’onde les miroirs poussait
Vers la rive, la plage et la terre battue.
Les habitants du lieu
Tant qu’ils purent se trouver au bord de la grande bleue,
Coururent bien promptement
Les miroirs ramassant
Et comme ils s’y mirèrent, grandement s’étonnant,
Ils virent la vérité, certains avec tristesse.
Mais aux grands du royaume, la nouvelle parvint vite;
Ces miroirs insolents,où qu’ils puissent bien luire.
On en cassa pas mal, mais en cachèrent assez
Ceux qui cet ordre-là ne voulurent respecter.
Et depuis ce temps-là, toujours les hommes bien faits
Montrent un miroir luisant à ceux- là qui sont laids.

27 novembre 2009

Grigore Alexandrescu - Le rossignol et l’âne

Un rossignol très malheureux
Chantait au bois sa grande douleur
Toute la nature l’écoutait
Et le silence autour régnait.
D’autres à ma place décriraient bien
Les tons sublimes qui sont les siens
Cette voix si souple, aux mille contours,
Qui d’un souffle légèrement
Monte et descend si tendrement
Plein de douceur et d’amour.

Je dirai, moi, que l’éloignement
Des souvenirs et regrets cuisants,
Que l’injustice et l’infâmie
Etaient l’objet de son beau chant.

Un âne grave qui l’écoutait
En juge sévère de son talent
Baissait la tête puis redressait
Parfois l’oreille condescendant.
Enfin, sentencieux il s’avance
Et d’une belle suffisance:
“ Je fus, dit-il, ici présent,
Mais je n’aime pas vraiment ton chant. ”

“ Pourtant l’espoir n’est pas perdu.
Si ce n’est pas trop difficile,
Accepte une leçon de mon cru
Et prends exemple sur mon style.

Sur quoi gaiement il s’égosille
En une chanson tellement grossière
Que devant cette dure harmonie
Terrifiée fut la forêt entière.

Sans se gêner, le rossignol
Lui dit alors: “ Quelle leçon !
Même la suivrai-je, ma parole,
Jamais un âne je ne serais, mon bon.

26 novembre 2009

Grigore Alexandrescu - Le chien et le chiot

Ce que j’ai en horreur certains de nos semblables,
Tels loups, lions, panthères et quelques uns des leurs,

Qui grandement se targuent d’avoir quelque valeur
Si un grand nom ils portent,
C’est un hasard, qu’importe !
Je suis moi-même peut-être de quelque famille noble,
Mais n’en fais aucun cas.
Partout le monde change et veut l’égalité,
Un tel orgueil stupide n’est que pure vanité.
Pour ce qui me concerne, tout le monde le sait,
Combien cela me plait
Lorsque tout animal, si basse soit son espèce,
Me traite du nom de chien et non de “ votre altesse”.
Ainsi parlait naguère à un bovin quelconque
Samson, molosse de garde à la voix forte et rauque.
Le chiot Samouraké, assis un peu plus loin,
Comme un simple badaud
Entendant leurs propos
Et qu’ils n’ont pas d’orgueil, ni de caprices vains,
S’approcha, l’air aimable,
Leur dire tout son amour et son admiration:
“Votre point de vue, dit-il, me semble admirable
Et j’ai en haute estime, mes frères, vos opinions!”
“Nous, tes frères, répondit plein de rage Samson,
Tes frères, nous, cabot!
Je vais te dire deux mots
Pour que tu t’en souvienne.
Sais-tu bien qui nous sommes, et est-ce à toi, poltron,
Vaurien, gredin, fripouille, de nous parler de ce ton?”
- ”Mais vous disiez ...” - ”Comment? Qu’est-ce que cela, te fait?

Je disais, il est vrai,
Que je déteste l’orgueil et les lions royaux,
Je veux l’égalité, mais pas pour les chiots. ”

Ceci parmi les hommes, souvent nous le voyons
Et avec les grands seuls l’égalité cherchons.

25 novembre 2009

Grigore Alexandrescu

Contemporain de Vasile Alecsandri, ayant vécu entre 1814 et 1885, Grigore Alexandrescu est un fabuliste, mais pas seulement. Participant à la révolution roumaine de 1848, il traduisit Voltaire et publia des poèmes romantiques dans le style de Lamartine, ainsi que des épîtres satiriques et des mémoires. A ses débuts on le compara à Young. Préoccupé par les grands problèmes de l’humanité, il hésite entre le ton philosophique et l’ironie.

18 novembre 2009

Grigore Alexandrescu - L’ANNÉE 1840

.......
Peu de mes jours perdus, chère, j’aimerais conserver,
Jours qui vers l’infini jà s’envolent à tir d’aile;
Peu de souvenirs j’en garde qui me soient agréables:
La peine seule m’aide à les différencier!

Mais toi, année nouvelle, je te vois avec joie!
Tu es de celles qu’attend toute la gent humaine!
Je suis une petite part de la triste foule humaine
Et avec tout ce monde, ton arrivée j’attends!
.......
Oh, année attendue, grande réformatrice!
Commence, transforme, bouleverse et ici améliore,
Montre un signe à ceux qui n’osent espérer;
mets en route sur le champs, troupeau et bon pasteur.

Du monde les fondements , basculent, sont secoués,
Les vieilles institutions s’effacent, elles sont rouillées;
Le monde entier bouillonne et tout homme sensé
Vers toi se précipite, car le moment est venu!

La politique profonde est une fanfaronnade,
Et la science de vie un égoïsme odieux;
De la grandeur de l’homme, rien ne nous parle plus
Et seul le despotisme est bien consolidé.

Année nouvelle! J’attends ta venue, de céleste élixir!
Pourtant si le pasteur que tu dois nous choisir
Pareil sera à ceux dont nous avons assez,
Alors...laisse la telle quelle, notre vieille tyrannie,
De tes présents alors, je ne me réjouis point,
Car d’améliorations en pire, nous sommes déjà lassés

Rien je ne te demande, pour moi ou pour les miens:
Mon sort j’aimerai unir à celui de la foule:
Si pour moi seul au monde, tu ne peux aucun bien,
Je ris de ma douleur et aux pied je la foule.

Mais j’aimerais voir ce jour, aux peuples annoncé,
Respirer un air pur, plus libre et plus serein,
pour perdre l’idée triste, affermie par les siècles
Que le monde pour toujours est un legs du hasard !

24 août 2009

Premiers Poetes

Le siècle des lumières fut représenté en Roumanie par trois groupes distincts d’écrivains : le prince-chroniqueur Dimitrie Cantemir en Moldavie, les poètes de la famille Vacarescu en Valachie et l’Ecole transylvaine dans la province de ce nom. Au début du 19-e siècle il convient de citer aussi en Moldavie le poète Costache Conachi et en Valachie Anton Pann.

Les quarante-huitards

1848 fut une année révolutionnaire dans toute l'Europe. Si à Paris elle porta au pouvoir le poète Lamartine, en Roumanie cette révolution-là fut l'oeuvre de jeune intellectuels (historiens; poètes, prosateurs) ayant fait leurs études à Paris. Voici quelques uns de ces poètes.

Dimitrie Bolintineanu - La mère d’Etienne le Grand

I

Sur un noir rocher dans un vieux château,
Au pied duquel coule un petit ruisseau,
Pleure et se lamente la princesse jeunette,
Douce et délicate comme une violette.
Au champs de bataille son époux chéri
Est parti en armes, guère ne le revit.
Ses yeux bleus en larmes brûlent de douleur,
Comme la rosée brille sur les douces fleurs.
Des boucles dorées sur son sein palpitent,
Rose et blanc comme lys, son visage s’agite.
Mais la reine mère près d’elle veille forte
Et de douces paroles, elle la réconforte.

II

Une horloge sonne minuit et demi,
A la porte, qui frappe, près du pont-levis ?
- C’est moi, bonne mère, ton fils bien-aimé !
C’est moi et j’arrive du combat blessé.
Le sort bien cruel nous fut cette fois-ci
Ma petite armée en désordre fuit.
Mais ouvrez la porte... Les Turcs me rattrapent !
Le vent froid me glace... mes blessures font mal.
Vite à sa fenêtre la jeune princesse court.
“Ma fille, que fais-tu?” dit la reine-mère
Et puis à la porte elle-même se rend,
Et dans la nuit dense ceci on entend:
-Vous dites, étranger ? Etienne est bien loin,
Son bras fort et brave décime les païens.
Sa bonne mère je suis et il est mon fils;
Si c’est vous, Etienne... Vous n’êtes point ce fils !
Pourtant, si le ciel, voulant m’éprouver
Et sur mon vieil âge mon coeur attrister,
Son âme noble et brave ainsi a changé,
Si tu prétends être Etienne pour de vrai,
Sache alors qu’ici, sans une victoire,
Tu ne peux entrer, par mon bon vouloir !
Vas donc aux armées, meurs pour ton pays !
Et sera ta tombe couronnée de lys ! ”

III

Etienne s’en retourne , son cor sonne court,
Son armée brisée des vallons accourt.
Le combat reprend. et. l’ennemi battu
Tombe comme les blés sous les sabres à nu!

Dimitrie Bolintineanu


Parmi les étudiants qui suivaient en 1846-48 les cours du Collège de France, à Paris, on pouvait remarquer le jeune roumain Dimitrie Bolintineanu, élève de Jules Michelet et Edgar Quinet. Revenu en Roumanie il participe avec d’autres anciens étudiants roumains de Paris, dont N.Bàlcescu et Vasile Alecsandri, à la préparation de la révolution roumaine de 1848. C’est en 1847 qu'était paru son premier volume de vers intitulé « Rêveries ».En 1952 allait paraitre un autre volume intitulé « Chants et complaintes ». En 1858 il publiera ses « Légendes historiques. » En 1866, il publiait en français sous le nom de « Brises d’Orient ». la traduction de son volume de poèmes orientaux « Fleurs du Bosphore » et quelques autres poèmes des cycles « Les Macédoniennes » et « Rêveries » ainsi que des légendes historiques. Le volume est apprécié par Théodore de Banville. Parmi ses nombreux volumes de vers, il convient de mentionner un épopée en vers du nom de « Trajanide ». Il écrivit aussi des romans. D.Bolintineanu a vécu entre1819 et 1872.

19 août 2009

Iancu Vacarescu


Né en 1792, petit fils du poète Ienàchità Vàcàrescu, francophone et germanophone, Iancu Vàcàrescu est un animateur de la vie culturelle de la première moitié du 19-e siècle. Il encourage le fabuliste Grigore Alexandrescu, soutient la vie théatrale roumaine, traduit le « Britannicus » de Racine et « l’Avare » de Molière, encourage la création d’imprimeries. Il est un membre actif de la Société littéraire qui allait préparer la révolution de 1848 en Valachie. Ses poèmes sont le reflet de ces préoccupations, influencées en grande mesure par la révolution de 1821 de Tudor Vladimirescu.

Alecu Vacarescu


Fils du poète Ienàchità Vàcàrescu, Alecu Vàcàrescu est né vers 1765. Il est l’auteur, comme son père et son frère Nicolae, de petits poèmes anacréontiques, où la religion et l’éloge des puissants du jour cède la place à des sentiments plus personnels.

Ion Budai Deleanu

C’est du groupe de l’Ecole transylvaine que faisait partie le poète et philosophe Ion Budai Deleanu, chez qui les idées du siècle des Lumières sont les plus présentes : égalité des humains, droits des nations .Ion Budai Deleanu est né en 1760. Il écrivit en latin des études sur la langue roumaine, il publia des dictionnaires, mais ses œuvres les plus connues sont deux poèmes héroi-comique en vers « La Tsiganiade » et « Trois preux chevaliers ». Voici un fragment de la Tsiganiade; épopée sur la création d’une armée tsigane à la demande du prince valaque Vlad l’Empaleur; au 15-e siècle. Avant de livrer bataille, les tsiganes, promis à l’émancipation, s’engagent dans une longue dispute philosophique sur la forme de gouvernement qui leur conviendrait et leur colloque dégénère en bataille rangée. Après quoi ils se dispersent aux quatre vents. Voici la description d'une partie de cette armée pittoresque, puis une partie du débat.

Anton Pann


Picaro de nature, né en 1796 et mort en 1854 ,Pann fut l’un des premiers poètes importants de la Roumanie. Chantre d’église, imprimeur, professeur de musique dans un couvent dont il enleva une none, il publie en 1830 à Bucarest un recueil de « vers musicaux » où se mêlent traductions et poèmes originaux . Suivent ses « Chansons du monde », puis en 1832 un « Guide des buveurs », en 1834 une « Christoitie » ou « Ecole de la morale », suivie en 1837 du « Nouvel Erotocrite » en vers, sorte d’ Art d’Aimer, d’après une traduction du grec Komaros. En 1837, Anton Pann publie des « Fables et historiettes », en 1846 un recueil de folklore et un autre de « Vers chantés pour la Naissance de notre Seigneur Jésus Christ ». Son œuvre la plus importante est intitulée « Histoire du proverbe » et parait en 1847. Suivent encore un récit intitulé « Souvenir du grand incendie de Bucarest de 1847, le jour des Pâques et de la générosité du prince Bibesco », un «Dialogue en trois langues : roumain, russe et turc » (1848) puis un recueil de poèmes intitulé « L’Hôpital de l’Amour » (1850) et « Le voyage du père Albu » de 1852, puis en 1854 un recueil d’histoires et anecdotes .

Costache Conachi


Poète des 18-e – 19-e siècles, Costache Conachi a vécu entre 1778 et 1849. Il composa des chansons d’amour pour la belle Zulnia, un petit traité de prosodie et des saynettes satyrique jouées par des montreurs de marionnettes. Il traduisit Marmontel, Pope, Pierre d’Herbigny, diffusant les idées des Lumières. Il est l’un des précurseurs du romantisme roumain.

Ienachita Vacarescu


Nous mentionnions dans la première génération de poètes roumains connus, notamment au 18-e siècle, la famille Vàcàrescu en Valachie . Ienàchità Vàcàrescu, né en 1740 et mort en 1797, descendant d’une famille de grands boiards , plusieurs fois ministre, est l’auteur de l’une des premières grammaires roumaines, de deux dictionnaires roumano-turcs et roumano-allemands, ainsi que d’une « Histoire des puissants empereurs ottomans ». Il est cependant surtout connu comme poète. Ses vers anacréontiques sont influencés par le folklore roumain. Il fondera une véritable dynastie de poètes.

18 août 2009

Anton Pann - Nasdine Hodja

L’habit est respecté davantage
Que la personne honnête
Nasdine fut une fois à une noce invité
Et des vêtement très simples pour y aller endossa ;
Les gens de maison le voyant, ne lui prêtèrent nulle attention.
Sans cesse servir les personnes richement vêtues on se précipitait
Et lorsque tout le monde à table fut installé,
On le plaça tout en bas, au coin d’une petite tablée .
Ceci voyant, Nasdine se leva et vite alla,
Chez un ami lui demander de lui prêter quelques jolis vêtements ;
Puis, galamment il se vêtit,
Mit par-dessus une fourrure et un manteau bien rouge.
Il revint à la noce où on l’avait prié
Et dès qu’il y parut, toutes les honneurs lui furent accordés :
- S’il vous plait, s’il vous plaît Hogea-efendi, tous l’appelaient.
On lui offrit la place d’honneur, chacun se serrant.
Une fois assis, il trempa sa manche dans la sauce, disant :
- Voilà, fourrure, s’il te plaît, mange le meilleur.
Et les invités de lui demander : « Monsieur Hodja,
Pourquoi tremper ainsi votre manche dans la sauce ?
- Parce que, répondit-il, lorsque d’abord je suis venu
Pauvrement vêtu, personne ne m’a honoré.
Et lorsque j’ai souhaité le bonjour, à peine m’a-t-on dit « Merci ».
Tandis qu’avec ces vêtements-ci, tout le monde m’a invité « Entrez,entrez ! »
C’est donc à la fourrure que je donne à manger,
Puisque le monde honore les vêtements et non la personne .

Ion Budai Deleanu - La Tsiganiade

Chant 1

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66

La première entre toutes se mit en route
La troupe de Goléman , si connue
Tous cribliers, brave gars sans doute.
Malheur à qui irrite cette cohue !
Trois cents étaient, si je m’y fie,
Sans les enfants, les femmes et filles.

67

Leurs armes les plus terribles
Etaient des fourches et mâts de tente,
La pointe ferrée pour bien percer la cible
Ils en clouaient au sol en moins de trente
Tout ennemi de loin, ou près;
Autant de crânes cassés après.

68

Leur drapeau ! une peau de jument à la queue blanche
Accrochée à une branche
Au bout de laquelle un cercle de tamis
Décoré de rouge était mis.
Une marche ils jouaient à la cornemuse,
Battant la mesure sur des passeoires sans trous.

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70

Après ceux-ci marchaient de l'avant,
Armés et en rangs bien serrés,
Les argentiers grands artisans

De joyaux et parures. Deux cents au près.
Qui les mène et les conseille ?
Parpangel, jeune plein d’orgueil.


..............................................

77

Grand et mince de nature,
Bon ménestrel, jouant du violon;
Faisant toute chose avec mesure
Artiste à faire des joyaux.
Beau prince charmant
Des argentiers en chevauchant.

78

Et le suivaient en rangs bien faits
De six chacun, sa troupe unique
Choisie, triée sur le volet,
Derrière laquelle suivait la clique
Aussi nue qu' Adam au soleil
La peau brillante et si noire qu’une corneille.

79

Les mieux lotis avaient des masses d’armes
En cuivre et de longs couteaux,
Grands hommes, tous, de belle carrure,
Cheveux au vent et barbes hirsutes;
Aux vêtements longs, courts et rayés
Mais soit sans manches,soit déchirés.

80

Comme drapeau un corbeau ils portaient,
Tout en argent, et les plumes déployées,
De telle manière comme si il s’envolait
Claquant des ailes dorées qui flamboyaient.
Leur musique jouait des guimbardes,
Faisant tinter des grelots de mouton.

81

La troisième troupe était formée
De chaudronniers grands et bien faits

Barbe enfumée, bonnet fourré.
A voir leur force on s’étonnait.
Ils battaient le cuivre et l’étain
Trois jours de suite sans manger rien.

82

Leur arme était un gros marteau
ferré et tous ils allaient chevauchant
Mais où vas-tu, eh, Balaban,
Toi, leur meneur, toi le fort ?
Si les Tziganes t’obéissaient
Bien plus heureux ils seraient !...

83

Sa bannière ils suivent pourtant,
Qui est un plateau de cuivre
Brillant de tous côtés, scintillant,
Comme le soleil au doux printemps.
Une marche ils jouent de leur clairon
Battant la cadence sur un chaudron.

84

Quatrièmes on voit venir
Les forgerons et leurs marteaux,
Gros brûleurs de charbons et scories
Armés de faux
Aux longs bâtons
A la manière des lances devant pointées.

85

Meneur était Dràghici le sage
Qui longuement avait vécu
Sans un poil perdre de son plumage
Ni de ses dents dont nulle n'a chu.
Il tenait sa septième épouse
Et se sentait en forme comme douze.

86

Trois cent en armes étaient rangés
Marchant d’une fière allure,
Joyeux allant vers le danger,
Portant sur soi à vendre, à l’aventure,
Faucilles, couteaux, ciseaux et mailles.
Seuls les déniers manquaient à l’attirail.

87

Leur musique les précédait
Faite de cloches et de cymbales,
Leur drapeau - une poêle à crèpes
Au pourtour orné d’écailles
Menues en acier dur comme roche
Accrochée à une longue broche.


10-e CHANT

..............................................

14

Tol disait qu’il serait inutile
D’instituer quelqu’ordre au pays,
Car d’après son bon sens facile
Toute loi n’est que contrainte
Et personne de son bon gré
A la loi ne voudrait obéir..

15

La loi est bonne pour les grands,
Disait untel, pour ceux qui règnent,
Les voïvodes, ministres,
trésoriers, préfets, commis,
Qui de par cette loi dominent les petits,
Récoltent et distribuent les revenus.

16

D’autres criaient : mais au contraire,
Il faut une loi, mais pas de celles
Qui ne valent pas un traître
sou, mais une telle
Qui n'ait pas sa pareille au monde;
Autrement, c’est folie.

17

Que nous soyons tous pareils
Paysans, seigneurs sans distinction;
Là est la loi la meilleure !
Nous avons tous un même corps,
Même nature, donc même honneur
nous aurons au pays tsigane.

18

Certains voulaient un prince,
une assemblée de la noblesse;
Car telle était alors la mode
Et l’orgueilleuse nation tsigane
Ne devait guère s’en écarter,
Mais au contraire s’y tenir ...

19

Certains voulaient que nul ne fut plus pauvre
Dans le nouveau pays tsigane;
D’autres que d’impôts ou redevance
Il ne soit plus jamais question.
Ceux-ci qu’il n’y ait plus d’emplois;
Ceux-là que d’autres viennent travailler les champs.

20

Disons qu’il n’y eut pas d’idée
Issue de quelqu’esprit troublé
Qui ne fut pas examinée
Par l’honorable assemblée.
Mais à quoi bon... car ce qui aujourd’hui plaisait
Demain les mêmes honnissaient !


..............................................

27

Alors les anciens décidèrent
De faire un autre règlement
De bon conseil et il tranchèrent
De ne plus convier à l'assemblée
La foule entière sans discernement,
Mais de chaque tribu un délégué.


..............................................

30

Ainsi vit-on se rassembler
Les cerveaux les plus éclairés
Constituant une cité
Comme à Paris les Montagnards.
Leurs hauts calculs, savantes idées
Toutes les nations vinrent admirer.

..............................................

31

De savantes personnes expliquèrent
En discours élégants, érudits
Avec arguments à l’appui
Que la monarchie serait bien
Entre toutes les formes la meilleure
Pour une société des humains.

..............................................

47

Que celui qui au peuple laisse
gouvernement et pouvoir
Celui-là l’union délaisse
Détruit le pays sans vouloir,
Donne l’épée à l’enragé
Et le couteau à l’enfant à peine né..

..............................................

78-79

Ainsi parlait Baroleu le savant.
Slobozan cependant d’autre part
Avec preuves et paroles pleines d’allant
Voulut prouver que nul pays n'est plus heureux
Qu’une république bien établie;
Et voici comment il s'y prit:

..............................................

80

S’il était possible d’avoir
Un homme entre tous le plus sage,
Sans ruse ni hypocrisie,
Le meilleur coeur et le plus juste,
Et que cet homme ici vivant,
Soit de plus un immortel,

..............................................

81

A cet homme de grand coeur
Aux qualités supérieures
Si par hasard il devenait
Monarque absolu d'une cité
A lui et à lui seul
Me soumettre j'accepterais.

83-84

Seulement de gens sans reproche
par ici il n’y en a guère
Ils sont plus rares que sous en poche !
Et puis comment les reconnaître ?
A leur vêtement, comme les élégants ?
Et il y a aussi un autre empêchement,

85-86

Dire qu’il ne sont pas immortels
(car nul être ne le peut).
Alors à supposer que l’on élise untel,
Le plus honorable entre tous,
Que seul il décide en tout affaire;
Mais ses enfants, ses petits-fils ?
Seront-ils bien comme leur père
Si bons, si justes et si sages ?

..............................................

108

Une république bien assise,
Sur des fondements solides,
Selon un jugement bien clair
Avec philosophique discernement;
Seul un tel gouvernement
Serait bon pour le pays des Gitans.

..............................................

110

En République l’homme s’améliore

A sa valeur la plus parfaite,
Qu’il soit d’extraction basse ou haute
Qu’il ait fortune grande ou mince,
Ses droits sont les mêmes que ceux du prince
Ou du plus fortuné.

..............................................

112

Si bonne soit le monarchie,
Elle devient vite despotique
Et les tyrans elle élogie;
qui le peuple oppriment sadiques,
Elle pousse se prosterner en vain
depuis toujours les humains.

113

En république les citoyens
Sont fils et frères d’une bonne mère;
Ils sont les héritiers communs de la patrie et de ses biens,
La loi égaux les rend et pairs
Et si l’un d’eux se distingue,
s'il est meilleur.

114

C’est celui-là donc qui gouverne
Elu par une commune décision.
Mais il n’ordonne pas à tors et a travers
Selon ses bon vouloir et opinion
Car chaque fonctionnaire public
La loi exécute seulement et applique.

Anton Pann - Le Sultan Et Le Pecheur

Dit-on qu’un sultan, une fois, qui souvent déguisé se promenait,
Voulant au bord de mer aller prendre un peu l’air,
Y vit un homme assis, à pêcher du poisson
Et par curiosité, de lui en s’approchant,
Commença à lui faire la conversation, lui poser des questions
Ainsi : « Mon ami, as-tu pris du poisson où non ?
L’homme répond : « Faible capture, comme-ci, comme ça, un rien ! ».
Quelque menu fretin, comme dit le proverbe :
« L’hôte ne mange pas ce qu’il veut, il mange ce qu’il trouve ».
Et puis
« Qui n’a pas une belle, embrasse une morveuse
« Ou « qui a fait fi des fraises, en mange les feuilles »
« Il mange des fruits sauvages et se moque des olives ».
Le sultan, le voyant pauvre et la langue bien pendue, prit plaisir à lui parler et lui demanda encore :
Le sultan – D’où viens-tu ?
Le pêcheur : De chez la femme.
Le sultan : De quel pays ? Quelle est ta patrie ?
Le pêcheur :La patrie de l’homme est là où il est bien.
Le sultan : As-tu des enfants ?
Le pêcheur : Un dans les bras, l’autre dans les entrailles.
Le sultan : As-tu quelque fortune ?
Le pêcheur : Le proverbe en témoigne :

« Ce qui est sur moi est dans mon coffre ».
Le sultan : Pourquoi es-tu pauvre ?
Le pêcheur : Je suis pauvre parce que je ne suis pas riche.
Le sultan : Comment vis-tu ?
Le pêcheur : Regarde mon vis et tu sauras ma vie .
Le sultan : Es-tu malheureux ?
Le pêcheur : La chance me suit, comme la poussière suit le chien.
Le sultan : As-tu de l’aide chez toi ?
Le pêcheur :Je suis seul à m’échiner
Le sultan : Est-tu pauvre de naissance ou bien ruiné ?
Le pêcheur : Si mon père fut un Monsieur et je ne suis pas un homme, à quoi bon ?
Le sultan : Je te vois ruiné, mais tu ne t’en plains pas.
Le pêcheur : Le tort que l’homme se fait lui-même, personne ne peut le défaire.
Le sultan : Si l’enfant ne pleure pas, sa mère ne lui donne pas la tétée.
Le pêcheur : Le temps que l’envie vienne au riche, le pauvre expire. Celui qui a déjà bien mangé ne croit pas au malheur de celui qui a faim.

Alors souriant, le sultan amusé,
Sort son portefeuille, écrit un mot et lui dit :
Le sultan : Prends ce billet et va vite chez mon vizir,
Pour qu’il te donne mille lei. Vas et ne perds pas ton temps.

Ce n’est qu’en prenant le billet que le pêcheur vit
Qu’il avait parlé au sultan et qu’il ne l’avait pas reconnu.
Il en resta, le pauvre, tout étonné,
Puis, finalement, il se souvint qu’il n’avait même pas remercié .
Il s’en alla donc d’un seul souffle, le cœur battant,
Jusqu’au vizir, sans rien comprendre ;
Il entra, lui remit le billet et le vizir le lut,
Lui comptant cinq cent lei et le priant de les accepter.
Car
« Qui partage, fait sa part »
Et
« De la gueule du loup, il est difficile de tirer une chose entière ».
Voyant qu’il ne lui donne pas tout, il lui dit : « Comment donc ?
Mais le vizir dépité répondit : « Alors quoi, tu n’es pas content ?
Le pêcheur : "Tu me les as prêtés et ne veux plus les prendre ?"
Et ordre on donna qu’il fut poussé dehors, disant :
- Je ne te donne rien, si tu n’es pas content
Et tant le pêcheur avait eu de joie à l’aller
Avec autant de tristesse chez lui il rentra.

Anton Pann - Histoire Du Proverbe

HISTOIRE DU PROVERBE

Des défauts

Il n’est homme sans défaut,
Chacun une étiquette a sur son dos.
Il voit celle de l’autre et ne voit guère la sienne.
Chacun se croit plus sage que l’autre.
Chacun trouve son enfant plus beau ,
Si impossible qu’il soit.
Ce qui est beau porte malchance.
Chacun tire la couverture à soi.
Il est facile de juger l’autre,
Chacun se moque de l'autre et le diable de tous.
Le diable moque les colombes noires et soi-même ne se voit guère.
La langue du monde, seule la terre la fait taire.

HISTOIRE DU PROVERBE

Dit-on qu’il fût un fois un prince
Affublé d’un nez très peu mince.
Il voyait bien, lui-même, le défaut en question,
Mais il pensait que peut-être c’était une impression.
Ses sujets et ses proches, là-dessus questionnés,
Sur sa bonne figure l’avaient tous rassuré,
Car, qui ose à un grand du monde
Dire vertement ses défauts incommodes ?
C’est à la même époque et dans la même ville,
Que vivait une dame bossue et plutôt ville.
Or, des flatteurs l’avaient persuadée
Qu’elle était aussi belle qu’un rayon de lumière.
De poèmes et de vers, ils l’avaient couronnée
Et se croire une déesse l’avaient encouragée.
Celle-ci alla un jour à la cour, au palais,
Ayant avec quelqu’autre un procès à régler.
Mais voyant que le prince n’était pas disposé

A soutenir sa cause, comme elle l'aurait aimé ,
Lui coupant la parole, elle dit tout étonnée :
«Oh, mon prince, que vous avez un gros nez !
Le prince par ces propos fut piqué,
Mais sur le coup, rien ne fut répliqué.
Celle-là cependant, croyant qu’il n’avait pas saisi,
En d’autres mots lui répéta son dit.
Le prince, une fois de plus, avala de travers ;
Mais elle ne cessa point de piquer son orgueil
Et de redire encore : Quelle étrange chose !
De ma vie je n’ai vu un nez aussi grandiose !
Le prince durcit le ton : « Madame !
Savez-vous que vous êtes une bien curieuse personne !
Que me dites-vous sans cesse que j’ai le nez trop gros,
Et que ne voyez vous la bosse sur votre dos ?
Votre énorme défaut, vous ne le sentez guère,
Mais voir celui des autres, vous n’avez nulle peine.
Comme elle quittait les lieux , sortant dans le couloir
Le prince dit encore, regardant son miroir :
«Ce n’était pas mensonge, ce que le sage disait,
Que bien difficilement l’homme soi-même se connaît.

Alecu Vacarescu - Ta Beaute Entiere

Si le miroir te montrait
Pleine et entière ta beauté;
Alors tout comme moi,
Tu t’inclinerais devant toi.

Il n’y aurait nul moyen,
Ton visage regardant bien
Sans qu’en idôlatrie extrême
Tu ne tombes devant toi-même.
Lorsqu’en lui les yeux tu plonges ,
Le miroir en devient sombre ;
Et l'image qui surnage
N’est point la tienne, mais ton ombre.

Alors, ne fais plus confiance
Aux miroirs, car leur balance
Est trompeuse
Elle te parle en menteuse.
Si vraiment te voir tu veux,
Fais donc confiance à mes yeux,
Car ni ne te mentent,
Ni eux-mêmes se trompent.
Tâche en eux de te voir claire,
Telle que tu nous éclaires
Et dans leur miroir
Connais ton plein pouvoir.

Crois mes yeux lorsqu’ils te disent,
Qu’à toi seule ils obéissent ;
Et que tu es tout naturellement
Pour eux, le Dieu du firmament.

Alecu Vacarescu - Satyre

Que le monde est instable, il n’est plus que mensonge !
Toute famille n’est plus que faux-semblant et hargne masquée.
La société entière est un combat de foire, l’humanité est transformée.
De tous côtés il n’y a qu’ennemis et personne à qui se fier.
Chacun en ma présence est mon homme, mais dès que je m’absente
Au monde il appartient.

Tous en tromperies abondent, personne à admirer.
Les serviteurs de Dieu ont le visage masqué.
Ils vous bénissent d’abord, puis vous mordent en serpents.
On ne peut pas partir. La nuit en plein jour descend.
Et le danger vous guette, si vous cherchez la clarté.
Tout jugement n’est qu’injustice et iniquité.
De quel côté qu’on aille, le mensonge est roi.
Et si j’appelle au secours mes parents en émoi,
Au lieu de me conforter, on cherche à m’attrister.
Mes amis sont des loups, injustes en amitié.

Iancu Vacarescu - La Voix Du Peuple Sous Le Despotisme

Révolte-toi, mon cœur, contre tant de patience !
Ta révolte soit terrible, après l’horrible souffrance !
Qu’il tremble ! Et que tremble l’infâme tyrannie ;
Qu’elle morde la poussière, que cesse l’avanie !
Que son corps et son nom jusqu’aux enfers descendent !
Que ses nombreux amis avec la tyrannie sombrent !
La justice faisant, le peuple est dans son droit ;
Son sage jugement dans ses actes se voit.
Les fils de la liberté sont tous sous sa banière,
L’esclave déchire ses chaînes ! Les justes unis sont fiers.
Le peuple confiera la bare à ses fils bien élus.
Et les despotes châtiera pour qu’ils ne règnent plus ! .
Que tremble ! Oh, que tremble l’odieuse tyrannie !
Brisé sera celui, qui pense la faire revivre.

Ienachita Vacarescu - Pauvre Tourterelle

Oh, bien pauvre tourterelle,
Demeurée si seule et frêle,
Sans son époux pris pour cible ;
Sa tristesse est indicible.

Tant qu’elle vit, son deuil elle porte,
Plus d’ami elle ne supporte.
Elle passe par fleurs et bois,
Ne regarde ni ne voit.

Elle traverse le jardin vert,
Et s’en va , au loin se perd.
Volant jusqu’à perte de soi,
Sur bois vert guère ne s’asseoit.

Si quelque part elle se pose,
C’est sur du bois sec, morose ;
Elle ne mange, ni ne boit.

Là où une eau claire elle voit,
Elle la trouble et s’en va ;
Si une eau troublée est là,
Plus la trouble et là elle boit.

Si quelque chasseur s’annonce,
De ce côté-là elle fonce,
Qu’il la tire et qu’elle tombe,
Pour qu’elle cesse de se morfondre.

Si un pauvre oiselet
Dans son cœur si meurtri est,
Jusqu’à en vouloir s’éteindre,
Pour son tendre époux rejoindre.

Alors, moi, homme de qualité,
Empreint de sensibilité,
Comment puis-je être heureux ?
Oh ! Amertume et malheur !

Ienachita Vacarescu - Dans Un Jardin

Dans un jardin
Près d’un beau brin,
J’ai vu une fleur, comme ciel serein ;
La couperai-je, oui, mais elle se fane,
La laisserai-je, oh, m’est grand effroi,
Que vienne un autre, la cueille pour soi !

Costache Conachi - La mer si tu regardais

Si la mer tu regardais
En ses moments tourmentés
De terribles déchaînements,
Si la voyais s’élancer
Contre ses côtes se heurter
Furieusement...
Et au large un petit canot
Tout entouré par les flots

Qui par instants apparaisse,
Avec un homme tout en pleurs
Qui te montre son malheur

Par des cris de détresse...
La mort il voit, fuir ne parvient,
Les mains tend et rien n’atteint

Mais se berce d’illusions :
Est-ce possible de ne point
Ressentir quelqu’émotion

Devant si grand désarroi ?
Et d’un si sauvage coeur
Regarder avec bonheur

Vers un homme qui se noie ?
Or, ce malheureux rameur
Que l’amour punit sur l’heure,

C’est moi, ma très noble Dame.
Et la mer sans fin aucune
Est le feu qui me consume,

Dont ne baisse guère la flamme !
Quant à la pitié divine
Qui me sauve de la ruine,

C’est votre clémence à vous !
N’ayez, soit, guère pitié,
Mais permettez-moi d’approcher,

Que je pleure à vos genoux