28 novembre 2009

Grigore Alexandrescu - Les miroirs

J’ai lu il y a longtemps, dans je ne sais quel livre,
Que dans un grand pays, pas très loin de nos rives,
L’agréable beauté passait pour disgracieuse.
Ceux qui la possédaient se sentant monstrueux
Tandis que d’une beauté radieuse
Etaient tenus les plus hideux.
De miroirs en ce lieu, il n’y en avait plus guère
Et l’on interdisait d’en faire venir d’ailleurs
Ainsi toute femme ou homme
Pensait de sa personne
Ce qu’il entendait dire,
Car même l’onde du fleuve qui la ville traversait
Si noire était, si sombre et sale d’ aspect,
Que l’on ne pouvait même son ombre y voir luire.
Pourtant voici qu’un jour, après maintes années noires
Comme un bateau passait, chargé de beaux miroirs,
Près du curieux pays que cette histoire indique,
Une tempête terrible, rendit la mer houleuse.
Je devrais dire plutôt, une tempête heureuse,
Occasion de changements d’utilité publique;
Car, pour le bien commun, une perte importante
Ne me semble pas grande.
Surtout si cette perte, ne me concerne guère.
Poussé donc par les vagues, le bateau faiblissait.
Il se brisa, mais de sa marchandise, peu au fond fut perdue,
Car dans son grand mouvement, l’onde les miroirs poussait
Vers la rive, la plage et la terre battue.
Les habitants du lieu
Tant qu’ils purent se trouver au bord de la grande bleue,
Coururent bien promptement
Les miroirs ramassant
Et comme ils s’y mirèrent, grandement s’étonnant,
Ils virent la vérité, certains avec tristesse.
Mais aux grands du royaume, la nouvelle parvint vite;
Ces miroirs insolents,où qu’ils puissent bien luire.
On en cassa pas mal, mais en cachèrent assez
Ceux qui cet ordre-là ne voulurent respecter.
Et depuis ce temps-là, toujours les hommes bien faits
Montrent un miroir luisant à ceux- là qui sont laids.

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