31 décembre 2009

Vasile Alecsandri - Penes, plume de dindon

Neuf nous partîmes au champs d’honneur,
Dix, le sergent en tête,
Et nul n’avait , ma foi, le coeur
Hésitant ou bien tiède!
Joyeux comme le léger faucon
qui quitte le sommet
Nous avions des ailes aux talons
et une plume au bonnet.

Quittant en plein été nos champs
Ensemble nous sommes partis
Pour délivrer des mécréants
Ce pauvre et cher pays.
Ainsi nous dit en son jargon
Le sergent Mãtrãgunã
Et nous partîmes sans façons
De bon coeur, sans rancune.

Quiconque en route nous voyait
chantant à tue-tête
Se retournait et s’étonnait
De cette humeur de fête;
Puis en passant nous demandait:
Allez-vous à une noce?
On répondait que l’on allait
A la lutte féroce!

Ah ! qui aurait pensé parbleu
En traversant la lande
Que tant de gars manqueront sous peu
De notre fière bande.
Voyez ! de neuf que nous étions,
- Dix, le sergent en tête,
Seul je demeure au bataillon
Et j’ai le coeur bien tiède !

Cobuz, berger de Calafat
Jouait si bien de la flûte
Et nous dansions à petit pas
En nous moquant des bombes,
Quand brusquement l’éclat d’obus
Grondant ... le feu l’emporte !
Coupa la tête de Cobuz
Et notre danse fut morte.


Il y a trois jours nous traversions
Le Danube aux grandes eaux,
Pas loin de Pleven nous campions
Maudits soient ses créneaux
Devant nos yeux ses murs dressait
Grivitza, la terrible
Monstre cruel qui menaçait
De ses griffes invisibles.

Les canons par centaines tonnaient ...
Tremblait autour la terre
Et des milliers de bombes sifflaient
Rapides comme l’éclair
Les Turcs dedans restaient cachés
Comme l’ours dans sa tanière.
Nos balles semblaient ne rien toucher
Eux nous ensanglantèrent,

Un bon servant, Tintes était
Car ses bombes touchaient
La fourmilière des Ottomans
Et la mort y portaient
Mais un beau jour une balle du fort
Une seule, partit errante,
Et pauvre Tintes était mort
Sur sa pièce fumante.

Par une nuit noire, Vlad et Bran
Etaient en sentinelles.
L’air bouillonnait comme chez Satan
De bombes et de shrapnels.
A l’aube on les trouva tous deux
Percés par les yatagans,
Et un grand tas tout autour d’eux
De trépassés musulmans.

Arrive le jour de la bataille
Oh, jour souillé de sang !
Chacun semblait plus haut de taille
Ayant la mort devant.
Notre sergent, un vrai lion,
Nous dit les mots suivants:
“ Vous cinq et moi tant qu’nous vivons
Les gars, tous en avant ! ”

Nous y voici !... encore un pas.
“ Hourra ! Allez! Hourra !
Mais beaucoup demeurent sans voix.
Et plus d’un ici mourra.
La redoute crache son feu sur nous
Plus qu’un dragon rapace.
Toute une rangée tombe d’un coup
Une autre prend sa place.

Burcel s’écroule dans le fossé
Sur un païen sans la vie
Soimu sur le redan dressé
Crie: “ Vive la Moldavie ! ”
Deux frères Calin, sont coupés vifs
Et baignent dans le sang;
Nul gémissement plaintif
Ni plainte de leur part on n'entend.

Par balles, épées, fumée et eau
Par mille baïonnettes,
Nous avançons toujours plus haut !
Montant aux parapets.
“ Allah ! Allah ! hurlent en vain
Les Turcs mis en déroute
Nous plantons le drapeau roumain
Sur l'horible redoute.

Hourra ! voici flotter au vent
L’étendard de Roumanie !
Nous cependant, nous sommes gisants,
Tombés à terre sans vie !
Notre sergent meurt en sifflant
Les Turcs qui se dispersent,
Et le capitaine admirant
Nos couleurs en liesse

Quand je fermais les yeux moi-même,
Ayant pris assez de peine:
“ Je peux mourir, maintenant, me dis-je,
Car la victoire est nôtre ! ”
Puis lorsque les yeux je rouvris
Après une longue nuit,
Sur mes blessures je découvris
Une belle médaille qui luit ! .

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