26 mars 2010

Mihai Eminescu - Empereur et proletaire

fragments

Assis sur de longs bancs, dans une sombre taverne
Où la lumière pénètre par de sales verrières
Attablés côte à côte, le visage plutôt terne
Et l'oeil désabusé, voici une bande perdue de crève-misère
D'enfants pauvres et sceptiques de la plèbe prolétaire.

- "Ah ! - dit l'un d'eux - pensez-vous, que l'homme est une lumière
Dans ce monde si plein d'amertume et douleur ?
Une étincelle seule en lui n'est pure, ni entière.
Son rayonnement est sale comme ce globe de terre,
Sur lequel il est roi et règne sans grandeur.

Dites-moi, qu'est la justice ? - Les puissants se protègent
Leur fortune et honneur dans un cercle de lois;
Par des biens qu'ils volèrent, il font leur petit manège
Contre ceux qu'au travail ils ont pris comme au piège
Pour s'adjuger le fruit de leur vie et leur toit.

Certains dans les plaisirs passent leur vie, en luxure,
Les jours passent joyeux et les heures leur sourient
Du vin d'ambre plein les coupes - l'hiver jardins, verdure,
L’été parties, vacances, les Alpes au front de glace pure,
La nuit en jour ils changent, l'oeil du jour ferment meurtri.
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Vertu est pour ceux-là un mot bien insensé,
Mais ils l'enseignent aux autres pour des bras forts avoir.
Car le char de l'Etat, quelqu'un doit le pousser
Et se battre à la guerre au milieu des brasiers.
Si vous mourrez luttant, eux gardent le pouvoir.

Les flottes toutes puissantes et les armées glorieuses
Les couronnes que les rois déposent sur leur front
Et les beaux millions que dans des banques luxueuses
Les riches déposent sans bruit, la tombe du pauvre creusent.
Ils absorbent la sueur du peuple que l'on trompe.
La religion, une phrase qu'ils inventèrent eux-mêmes
Pour vous amener dociles à subir le harnais.
Car si vos coeurs n'avaient pas cet espoir suprême
Après avoir peiné misérables une vie vaine
Porteriez-vous le joug comme des chevaux de trait?

Avec de vaines ombres on vous voile les yeux
En une récompense vous croyez bien à tort.
Non! La mort, de cette vie, éteint tout le bonheur.
Celui qui de ce monde n'a eu que la douleur
N'a rien au-delà non plus, car les morts sont bien morts!

Mensonges, paroles, voila qui les Etats soutient.
Non pas l'ordre des choses, comme ils veulent le faire croire !
Défendre leurs richesses, leur grandeur et leur bien,
C'est pour ça que vos bras ils arment contre vous-mêmes
Et entre vous en vain au combat on vous mène.

Pourquoi seriez-vous serfs des millions néfastes,
Vous qui par votre labeur pouvez à peine survivre?
Pourquoi le mal, la mort seraient votre seul faste,
Si eux dans leur richesse resplendissante et vaste
S'amusent comme au ciel, n'ont pas le temps de mourir.

Pourquoi oublieriez-vous que vous êtes force et nombre?
Il suffit de vouloir, pour la terre partager.
Ne construisez plus pour leur fortune des coffres,
Et des prisons pour vous, pour qu'ils vous mettent a l'ombre
Si l'envie vous prend de vivre ou vous loger.

Protégés par la loi, eux s'abandonnent au luxe
Et arrachent à la terre ses sèves parfumées.
Ils appellent dans l'orgie bruyante et voluptueuse
Comme des objets aveugles vos jolies filles aimées
Nos beautés juvéniles, leurs vieilles peaux usent.

Si vous vous demandez, alors, ce qu'il vous reste
Le travail, vous dit-on, ce plaisir enivrant,
La vie en esclavage, les larmes sur du pain sec.
Et aux jeunettes séduites une misère honteuse...
Ils ont tout et vous rien, eux le ciel, vous du vent!

La loi, ils n'en ont cure, la vertu c'est du flan.
Quand tout est à portée... Les lois, elles sont pour vous,
Lorsque tentés vous êtes par des biens souriants
Car il n'y a nul pardon pour l'horrible besoin.

Brisez donc ce régime si cruel et injuste.
Qui le monde divise en miséreux et riches!
Puisqu'après votre mort nul bonheur ne vous guète
Faites qu'en ce monde-ci on ait une part plus juste
Et que l'on soit égaux, que l'on vive en frères!
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Oh ! Que vienne le déluge, on a trop attendu
Pour voir venir le bien de par le bien rendu
Rien ... La place du chacal est prise par l'orateur
Et celle du spadassin par le flatteur envieux
Les formes ont changé et le mal est resté.

Vous reviendrez alors aux époques dorées,
Que les vieux mythes bleus nous racontent souvent,
Aux plaisirs si pareils, entre égaux partagés,
Et même la mort soufflant la lampe d'une vie finie
Vous semblera alors un ange aux blonds cheveux frisés.
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Sur les bords de la Seine en voiture de gala
Le César passe pâle, plongé dans ses pensées;
Des ondes le bruit sourd, le bruit sur la chaussée
De centaines de voitures, sa pensée ne trompe pas;
Le peuple silencieux et humble s'est effacé

Son sourire profond, silencieux et sage,
Son regard qui sait lire dans le coeur des humains
Et sa main qui conduit les destinées de loin
Salue le groupe miteux sur son passage.
Sa grandeur, il le sait, dépend de ces vauriens!.

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